Le centre : mirage ou réalité ? (11 juin 2010)

Six arguments qui plaident pour et contre l'existence d'un centre indépendant de la droite et de la gauche dans la vie politique française

 

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La bipolarisation

La bipolarisation s'est imposée en 1974, lorsque l'ancien centre d'opposition (Jean Lecanuet, Jean-Jacques Servan-Schreiber) a rallié la nouvelle majorité présidentielle de Valéry Giscard d'Estaing. Le principal élément qui joue en faveur du maintien de cette bipolarisation droite-gauche est le scrutin uninominal majoritaire à deux tours (avec un relèvement progressif du seuil de qualification au second tour).

En vigueur aux élections législatives, il se présente en effet comme un mode de scrutin d'alliance au second tour, donc défavorable à la renaissance d'un centre indépendant de la droite et de la gauche, de l'UMP et du PS. Or, c'est justement ce mode de scrutin qui devrait être adopté pour les futures élections territoriales.

 

Le double "grignotage"

Le principal ennemi du centre est l'existence d'un centre-droit et d'un centre-gauche forts susceptibles de le grignoter par les deux bouts.

La dernière enquête de l'Ifop le montre nettement en ce qui concerne le centre-gauche (1). En cas de candidature de Martine Aubry à l'élection présidentielle de 2012, les électeurs déclarant avoir voté Bayrou en 2007 seraient encore 43% à voter en faveur du candidat du MoDem et 27% à voter pour la candidate du PS. En cas de candidature de Dominique Strauss-Kahn, en revanche, ces mêmes électeurs seraient 29% seulement à voter de nouveau pour François Bayrou et 40% à choisir Dominique Strauss-Kahn.

Même chose côté centre-droit, avec les éventuelles candidatures des anciens UDF Hervé Morin, président du Nouveau Centre, et Jean-Louis Borloo, président du Parti radical et vice-président du conseil national de l'UMP.

 

La concurrence d'Europe - Écologie

Si la proximité idéologique entre François Bayrou et Daniel Cohn-Bendit est ancienne, notamment à travers leurs convictions européennes et décentralisatrices, deux évolutions les ont placés plus directement en concurrence.

D'une part, le remplacement de l'UDF, qui était au centre-droit, par le MoDem, qui se situe au centre, c'est-à-dire à équidistance de la droite et de la gauche. D'autre part, le glissement au centre-gauche des Verts à travers leur participation au rassemblement Europe - Écologie.

Selon un sondage BVA, les électeurs déclarant avoir voté Bayrou en 2007 seraient aujourd'hui 25,3% à revoter pour lui et 23,5% Eva Joly, si cette dernière, un temps approchée par le MoDem, était la candidate d'Europe Écologie (2).

"Le résultat de François Bayrou dépendra des autres", conclut Émile Leclerc, chargé d'étude à l'institut BVA.

 

 

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L'élection présidentielle au suffrage universel direct

Parlementaristes de tradition, les démocrates-chrétiens se sont historiquement opposés à Charles de Gaulle sur l'élection du président de la République au suffrage universel direct. C'était même, avec la construction européenne, un des deux motifs de leur rupture avec les gaullistes en 1962.

Changement de cap avec Bayrou (Lecanuet n'a été candidat qu'une seule fois à la présidentielle; Méhaignerie jamais), qui a construit sa stratégie autour de la seule élection, rencontre entre un homme et le peuple, susceptible de faire bouger les lignes du paysage politique français. De fait, à deux reprises, déjà, le second tour n'a pas opposé la droite et la gauche : en 2002 c'est l'extrême droite qui s'est qualifiée (Jean-Marie Le Pen); et, en 1969, ce fut, justement, le centre (Alain Poher).

 

La droitisation de l'UMP

Un constat commun réunit l'ensemble des anciens UDF : la droitisation de l'UMP, autrement dit le retour aux fondamentaux du sarkozysme, ouvre un espace entre l'UMP et le PS, que ce soit au centre (François Bayrou) ou au centre-droit (Hervé Morin, Jean-Louis Borloo).

Reste à savoir si Nicolas Sarkozy prendra le risque d'accepter sans réagir, voire de susciter, une tierce candidature issue de sa majorité. Une partie de billard à trois bandes semble s'être engagée entre l'Élysée, Jean-Louis Borloo et Hervé Morin. Mercredi 9 juin, la secrétaire d'État Valérie Létard, présidente déléguée du Nouveau Centre, a ainsi apporté son soutien à Jean-Louis Borloo. Si Valérie Létard est une amie de longue date du président du Parti radical, cette annonce est malvenue pour Hervé Morin, président du Nouveau Centre, qui organise ce week-end son congrès à Tours.

 

L'existence d'un électorat centriste

L'électorat qui a voté François Bayrou au premier tour de la présidentielle de 2007 (18,57%) n'a pas disparu : "François Bayrou et Dominique de Villepin se partagent, politiquement et arithmétiquement, ce créneau du centre indépendant vis-à-vis de l'UMP et du PS", analyse Jérôme Fourquet, directeur adjoint du département Opinion de l'Ifop. Ce qui se confirme en additionnant les intentions de vote en faveur de François Bayrou (11%, dans l'hypothèse d'une candidature PS de Martine Aubry) et de Dominique de Villepin (8%).

"La thématique de la dette et de la vérité qu'il faut dire aux Français est un des éléments de décollage de la campagne de François Bayrou en 2007, poursuit le sondeur. Or, dans une période de rigueur, cette marque de fabrique peut lui valoir un regain d'intérêt".

 

Laurent de Boissieu
La Croix, 10 juin 2010

(1) Sondage réalisé par l'Ifop pour Paris Match les 27-28 mai 2010.
(2) Sondage réalisé par l'institut BVA pour Orange, L'Express et France Inter les 23-24 avril 2010.

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