Financement de la vie politique : quelles sont les règles ? (07 juillet 2010)

Sept ans de tâtonnements, entre 1988 et 1995, ont été nécessaires pour parvenir à un régime juridique stable de financement des campagnes électorales et des partis politiques. Plafonnement des dépenses électorales, remboursement des frais de campagne, aide budgétaire publique aux partis politiques : autant de progrès destinés à faire de la France une "démocratie irréprochable". Si les soupçons à l'encontre d'Éric Woerth sont confirmés, il s'agirait donc d'un retour aux années 1980-2000, dont l'atmosphère politique avait été empoisonnée par les "affaires".

Tous les partis de gouvernement avaient été en effet, à l'époque, inquiétés par la justice. Les deux condamnés les plus célèbres sont Henri Emmanuelli (financement illégal du PS par le bureau d'études Urba) et Alain Juppé (emplois fictifs du RPR à la mairie de Paris). Certains ont en revanche été amnistiés par le Parlement ("caisse noire" du CDS : Pierre Méhaignerie, Jacques Barrot, Bernard Bosson), d'autres blanchis par la justice (Gérard Longuet pour le Parti républicain, Robert Hue pour le PCF).

Quoi qu'il en soit, depuis la loi du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique, les règles de financement des partis politiques sont claires et précises, même si elles ont été modifiées à plusieurs reprises.

 

Les partis politiques

En ce qui concerne les ressources des partis, la principale modification concerne les dons des entreprises, légalisés en 1990, puis interdits en 1995. Les comptes de l'UMP, par exemple, montrent quelles sont aujourd'hui les principales ressources des partis politiques : le financement public (66% des ressources de l'UMP), les dons de personnes physiques (14%), les cotisations des adhérents (10%) et les contributions des élus (3%).

Le financement public est divisé en deux fractions. La première fraction est proportionnelle au nombre de suffrages obtenus au premier tour des élections législatives, la seconde au nombre de parlementaires qui déclarent chaque année, en novembre, y être inscrits ou s'y rattacher. En dehors de toute transparence, ces rattachements sont cependant secrets (!).

La condition pour bénéficier de ce financement a été durcie par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin en 2003 : il faut non seulement présenter des candidats dans au moins 50 circonscriptions, mais aussi que ces candidats aient obtenu chacun au moins 1% des suffrages exprimés. Si quatorze partis ont répondu à ces deux critères aux élections législatives de 2007, trois ont obtenu au moins un élu sans répondre au premier : le Nouveau Centre d'Hervé Morin, le Mouvement républicain et citoyen de Jean-Pierre Chevènement et Debout la République de Nicolas Dupont-Aignan.

Ce premier critère n'existe toutefois pas pour les vingt-six partis ayant présenté des candidats exclusivement outre-mer. C'est ainsi que le sénateur de la Moselle Jean-Louis Masson (non-inscrit) a pu créer "Démocratie et République" (anciennement "Metz pour tous") dans l'unique but de bénéficier du financement public : près de 410 000€ cette année. Ce parti virtuel a présenté une seule candidate en Polynésie française (l'ancienne députée Béatrice Vernaudon), tandis que cinq députés et quatre sénateurs s'y sont rattachés. C'est également par le biais de l'outre-mer que le Nouveau Centre a finalement pu indirectement bénéficier du financement public en s'associant à un authentique parti de Polynésie française, le Fetia Api.

Les "dons consentis par des personnes physiques dûment identifiées", quant à eux, ne peuvent pas "annuellement excéder 7 500€". Autre précision de la loi : "Tout don de plus de 150€ doit être versé, à titre définitif et sans contrepartie, soit par chèque, soit par virement, prélèvement automatique ou carte bancaire."

Enfin, les seules personnes morales qui peuvent contribuer au financement des partis sont... les partis politiques ! L'UMP a notamment bénéficié de 19 941€ du Parti radical de Jean-Louis Borloo, de 26 520€ de la formation de Christine Boutin ou encore de 120 000€ d'une fantomatique "Union républicaine et d'actions communautaires", domiciliée à la permanence marseillaise du député UMP Dominique Tian. Autre source d'opacité : les "collectes au drapeau" et autres quêtes effectuées lors des réunions publiques.

 

Les campagnes présidentielles

En ce qui concerne, maintenant, la campagne présidentielle, les grands principes sont les mêmes : interdiction des dons des personnes morales, à l'exception des contributions des partis politiques, et plafonnement des dons des personnes physiques à 4 600€. En moyenne, les dons des personnes physiques ont représenté 12% des ressources des candidats à l'élection présidentielle de 2007, mais ce chiffre a atteint le record de 33% pour Nicolas Sarkozy.

Selon La Tribune de Genève, Éric Woerth aurait par exemple participé, en mars 2007, à deux dîners de gala avec les plus grandes fortunes françaises exilées en Suisse romande afin de collecter des fonds pour la campagne du candidat UMP. Rien d'illégal, si ces dons se sont bien effectués dans les conditions et les limites légales.

Dans les vingt-sept cartons constituant les comptes de campagne de Nicolas Sarkozy, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a néanmoins repéré que "trois dons de personnes physiques dépassaient le plafond légal" (1). Même si, "dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, la Commission a jugé que cette irrégularité n'était pas d'une gravité suffisante pour entraîner le rejet du compte", se contentant de diminuer le montant du remboursement forfaitaire.

De toute façon, précise la CNCCFP, "la sanction du rejet du compte n'est pas, comme pour les élections législatives ou locales, l'inéligibilité, mais uniquement la privation du remboursement forfaitaire des dépenses de campagne par l'État".

 

Laurent de Boissieu
La Croix, 07 juillet 2010

(1) Ni le montant des dons concernés ni bien entendu l'identité des donateurs ne sont toutefois publics.

 

***

Qu'est-ce qu'un parti politique ?

Juridiquement, un parti politique est une association qui s’est assigné un but politique, a désigné un mandataire financier et a déposé des comptes auprès de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP).

Politiquement, un parti politique, qui présente en tant que tel des candidats aux élections, se distingue d'un club politique, qui ne présente pas en tant que tel des candidats aux élections. Pour des raisons financières, les clubs politiques adoptent toutefois la forme juridique d'un parti politique. Mais il serait bien entendu politiquement aberrant de les considérer comme des partis !

 

***

Comment détourner la loi sur le financement
des partis politiques ?

(Ceci n'est pas une incitation mais un appel à la vigilance !)

- fixer un montant de cotisation (non plafonné) pour les membres bienfaiteurs supérieur au plafond légal de don (7 500€).

- créer des partis politiques virtuels dont le seul but est de récolter des fonds (une même personne physique pourra ainsi verser autant de dons atteignant le plafond légal qu'il existe de coquilles vides) ensuite reversés au parti politique actif (puisque les dons entre partis politiques sont autorisés et non plafonnés).

- faire passer des dons en liquide pour des "collectes au drapeau" et autres quêtes effectuées lors des réunions publiques.

- pratique des emplois fictifs (dans une collectivité locale, une entreprise, un parti politique créé dans cet unique but, etc.).

 

***

Deux propositions afin d'améliorer la démocratie

Transparence : rendre public le rattachement des candidats à un parti politique pour la première fraction de financement public puis le rattachement annuel des parlementaires pour la seconde fraction du financement public.

Pluralisme : assouplir les critères pour bénéficier du financement public

"La première fraction est attribuée :

- soit aux partis et groupements politiques qui ont présenté lors du plus récent renouvellement de l'Assemblée nationale des candidats ayant obtenu chacun au moins 1% des suffrages exprimés dans au moins cinquante circonscriptions;

- soit aux partis et groupements politiques qui ont présenté des candidats dans au moins soixante-quinze circonscriptions lors du plus récent renouvellement de l'Assemblée nationale et qui ont obtenu au moins un élu;

- soit aux partis et groupements politiques auxquels se rattachent en cours de législature au moins trois parlementaires rattachés en début de législature à un même parti bénéficiaire de la seconde fraction;

- soit aux partis et groupements politiques qui n'ont présenté des candidats lors du plus récent renouvellement de l'Assemblée nationale que dans un ou plusieurs départements d'outre-mer, ou à Saint-Pierre-et-Miquelon, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française ou dans les îles Wallis et Futuna et dont les candidats ont obtenu au moins 3% des suffrages exprimés dans l'ensemble des circonscriptions dans lesquelles ils se sont présentés."

09:30 | Lien permanent | Commentaires (2) |  Facebook | |  Imprimer | |