FN nouveau: info ou intox? (21 janvier 2011)

Le blogueur corto74 (découvert via L'Hérétique) a lancé mi-janvier une chaîne en posant à des blogueurs la question suivante: "Au nom de quoi, l'UMP doit-il rejeter toute alliance avec le FN?"

Poser cette question, c'est à mon avis commettre une erreur chronologique.

Le FN de Jean-Marie Le Pen (qui a siégé aux débuts de la Ve République dans le même groupe parlementaire que Valéry Giscard d'Estaing) se réclamait d'une "droite nationale" et, dans les années quatre-vingt, développait sur le plan économique et social un discours libéral, antifiscaliste et antiétatiste. Entre le FN d'un côté, et la droite de gouvernement de l'autre, la différence - notamment sur les questions d'immigration et de sécurité - était bien plus une différence de degré que de nature. À une exception fondamentale près: les "dérapages" et les condamnation de Jean-Marie Le Pen, à l'origine du "cordon sanitaire" faisant obstacle à tout accord national entre la droite et l'extrême droite, malgré à l'époque les appels de pied du FN.

Le FN de Marine Le Pen est bien différent. Pour résumer, il ne fait plus du Philippe de Villiers puissance dix mais du Jean-Pierre Chevènement puissance dix, renvoyant dos-à-dos la droite (UMP) et la gauche (PS), c'est-à-dire l''UMPS" (davantage intello, Chevènement parlait en 2002 de "Janus bifrons libéral-social et social-libéral" ou encore de "système du pareil au même"). Dorénavant, la différence n'est donc plus une différence de degré mais - en particulier sur les questions économiques et sociales - une différence de nature avec l'ensemble des partis ralliés au "consensus de Bruxelles" (libéral, européiste et atlantiste). Hier, Jean-Pierre Chevènement voulait remplacer le faux clivage droite-gauche par un vrai clivage entre "républicains" et "libéraux"; aujourd'hui, Marine Le Pen veut remplacer le faux clivage droite-gauche par un vrai clivage entre "nationaux" et "mondialistes", ses accents nationalistes-révolutionnaires l'ayant éloignée et non pas rapprochée de la droite libérale.
Conséquence logique: contrairement à Jean-Marie Le Pen, Marine Le Pen n'envisage pas d'alliance avec l'UMP (qui, à l'inverse du RPR et de l'UDF autrefois, n'a donc pas besoin de se demander s'il doit rejeter ou non toute alliance avec le FN).

 

Reste à savoir si le nouveau positionnement national-républicain du FN est ou non sincère (Laurent Pinsolle soulève également la question). Je vous propose trois tests:

1) Le social-étatisme développé par Marine Le Pen dans son premier discours de présidente du FN (qu'un Jean-Pierre Chevènement ou qu'un Jean-Luc Mélenchon n'auraient pas renié) est-il sincère? Je suspecte que non. Nouveau vice-président en charge du projet (et compagnon de Marine Le Pen), Louis Aliot a créé en mai 2010 Idées Nation, "club de réflexions, d'analyses et de propositions au service du projet et de l'action politique de Marine Le Pen". Or, parmi ses rares productions figure une critique de la "convention égalité réelle" du PS, critique sans ambigüité libérale et non sociale ("toujours plus d'État!", "dirigisme", "contre les locataires non pauvres", "toujours plus de dépenses!", "toujours plus d'impôts!", "la chasse aux riches"), par conséquent en contradiction avec la nouvelle orientation affichée par Marine Le Pen. Il conviendra donc d'analyser à la loupe sa future "révolution fiscale", car la fiscalité est le nerf de la guerre de toute politique sociale.

2) La définition par le FN de l'appartenance à la communauté nationale va-t-elle se républicaniser? Question clef puisque, comme je l'ai déjà écrit, c'est dans cette définition que se niche le racisme d'extrême droite (depuis Charles Maurras dénonçant l'"anti-France": "Juifs, Protestants, Maçons, Métèques"). D'un côté, dès 2007 Marine Le Pen présentait la candidature de son père comme celle "débarrassée des spécificités religieuses, ethniques ou même politiques" (Le Figaro, 12/12/2006), réaffirmant encore aujourd'hui qu'elle ne possède pas "une vision ethnique de la nation" (Causeur, janvier 2011). De l'autre, elle assume l'expression discriminatoire "Français de souche", aux antipodes du principe républicain d'égalité entre tous les citoyens car opérant une distinction entre eux en fonction de leur origine (pour les démographes de l'Ined, le Français de souche est celui qui n'a pas au moins un de ses grands-parents immigré).

3) La laïcité: le FN doit encore prouver qu'il défend véritablement la laïcité républicaine et qu'il ne s'agit pas seulement d'un cache-sexe de l'islamophobie (la xénophobie dérivant alors de la couleur de peau - les noirs et les arabes - vers la religion).

 

En réalité, tout dépendra selon moi de la tonalité de la campagne présidentielle:

1) Si la thématique sécuritaire l'emporte: retour au FN version Jean-Marie Le Pen, c'est-à-dire à la droite de la droite, le principal concurrent de Marine Le Pen étant Nicolas Sarkozy pour séduire l'électorat sensible à cette thématique.

2) Si la thématique sociale l'emporte: éclosion du FN version Marine Le Pen, c'est-à-dire d'alternative à la droite et à la gauche, les principaux concurrents de Marine Le Pen étant les partisans comme elle d'une "autre Europe" ou d'une "autre politique" (les deux allant de paire), de Jean-Luc Mélenchon à Nicolas Dupont-Aignan en passant par Jean-Pierre Chevènement.
Dans cette hypothèse, la principale erreur du microcosme politico-médiatique parisien serait de maintenir le "cordon sanitaire" autour du FN non plus sur le fondement de ce qui fait la spécificité de l'extrême droite (dérapages, définition xénophobe voire raciste de l'appartenance à la communauté nationale) mais sur le fondement de la non-appartenance au "cercle de la raison" défini il y a déjà longtemps par Alain Minc. Bref, de jeter dans les bras de l'extrême droite (cf. l'évolution du blogueur Malakine) les 55% de Français qui ont voté en 2005 contre le traité constitutionnel européen. À moins qu'entre-temps l'Europe libérale et la "mondialisation heureuse" (encore Minc!) prouvent subitement leur efficience économique et sociale ainsi que leur compatibilité avec l'identité constitutionnelle de la France, à savoir la République indivisible, laïque, démocratique et sociale.

 

Enfin, il convient de souligner deux choses:

1) Marine Le Pen ne cesse de répéter qu'elle reprend tout l'héritage du FN (donc également ses composantes historiques et les dérapages de son prédécesseur).

2) La préférence nationale réserve en quelque sorte le nouveau "social-étatisme" du FN aux seuls Français, en excluant tous les étrangers (même en situation légale).

 

[Ajout: on vient de me signaler sur le blog de Jean-Luc Mélenchon un billet qui complète parfaitement mon analyse]

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