Un référendum sur les questions de société serait-il constitutionnel? (17 janvier 2013)

Il m'a semblé utile de mettre en ligne (avec l'aimable autorisation de mon employeur) cet article publié dans La Croix du 8 janvier 2013, vu que certains adversaires de l'ouverture du mariage civil aux couples homosexuels continuent à réclamer un référendum.

Une précision: à titre personnel, je suis pour la banalisation de l'usage du référendum et je considère qu'en théorie un tel sujet de société mériterait effectivement de faire l'objet d'un débat référendaire, et pas seulement parlementaire. Ce qui ne change rien au fait qu'en pratique ce n'est actuellement pas possible, comme l'enseignenent tous les manuels de droit constitutionnel... y compris Laurent Wauquiez dans un ouvrage publié en 2002.

(Pour info, mon confrère Guillaume Perrault a, depuis, déniché deux constitutionnalistes défendant une opinion dissidente: lire son article dans Le Figaro du 14 janvier 2013).

 

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Laurent Wauquiez (UMP) a annoncé le dépôt à l'Assemblée nationale d'une "motion référendaire"

Cette idée se heurte toutefois à deux obstacles, l'un politique, l'autre constitutionnel

L'UMP mobilise tous azimuts contre l'ouverture du mariage civil aux couples homosexuels. Dans la rue, avec la participation à "La manif pour tous" du 13 janvier. Au Parlement, avec l'annonce par Laurent Wauquiez du dépôt d'une "motion référendaire". Celui qui siège actuellement au sein du groupe filloniste dissident va s'activer cette semaine pour que son initiative reçoive "le soutien le plus large" parmi les députés de droite, non seulement dans le groupe UMP, qui devrait se réunifier à l'occasion de la rentrée parlementaire la semaine prochaine, mais aussi au sein du groupe UDI de Jean-Louis Borloo.

L'idée d'un référendum sur le "mariage pour tous" n'est pas nouvelle à droite. Dès le 28 septembre dernier, l'ancienne ministre Christine Boutin, présidente du Parti chrétien-démocrate, avait écrit en ce sens à François Hollande. Cette idée se heurte toutefois à deux obstacles.

Le premier obstacle est politique. Actuellement, un référendum ne peut être organisé qu'à l'initiative du président de la République, sur proposition du gouvernement ou sur proposition conjointe des deux assemblées. Un dixième au moins des membres d'une assemblée doit alors signer une motion tendant à proposer de soumettre au référendum un projet de loi en discussion. Si la motion est conjointement adoptée dans les deux assemblées, le président de la République n'en demeure pas moins libre de suivre ou non cette proposition.

Même dans l'hypothèse, politiquement improbable et inédite, où une motion référendaire serait adoptée en termes identiques à l'Assemblée nationale et au Sénat, la décision d'organiser un référendum reste donc de la seule prérogative de François Hollande.

Normalement, ce premier obstacle devrait toutefois être un jour ou l'autre levé. La révision constitutionnelle de juillet 2008 a, en effet, ouvert à un cinquième des membres du Parlement l'initiative d'organiser un référendum, si cette proposition de loi est soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales, soit environ 4,5 millions de Français.

Les deux projets de loi – l'un ordinaire, l'autre organique – nécessaires à l'application de ce nouveau référendum d'initiative partagée ont bien été adoptés par l'Assemblée nationale le 10 janvier 2012, mais le Sénat ne les a pas encore examinés.

Le second obstacle est juridique. L'article 11 de la Constitution énumère de façon limitative le champ du référendum: "tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent".

Bref, conclut sans appel le constitutionnaliste Pascal Jan, "la Constitution ne permet pas de recourir pour ce type de sujet à la consultation populaire". Vice-président de la Société des amis de la Constitution, ce dernier juge "navrant qu'un ancien ministre et député berne ainsi les citoyens qui croient qu'un tel référendum est possible".

Laurent de Boissieu, La Croix, 08/01/2013

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Fondements juridiques:

 

Constitution du 4 octobre 1958

 

ARTICLE 11

[dispositions en vigueur]

Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux Assemblées, publiées au Journal Officiel, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.

Lorsque le référendum est organisé sur proposition du Gouvernement, celui-ci fait, devant chaque assemblée, une déclaration qui est suivie d'un débat.

Lorsque le référendum a conclu à l'adoption du projet de loi, le Président de la République promulgue la loi dans les quinze jours qui suivent la proclamation des résultats de la consultation.

 

ARTICLE 11

[Entrée en vigueur dans les conditions fixées par les lois et lois organiques nécessaires à leur application (article 46-I de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008)]

Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux Assemblées, publiées au Journal Officiel, peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions.

Lorsque le référendum est organisé sur proposition du Gouvernement, celui-ci fait, devant chaque assemblée, une déclaration qui est suivie d'un débat.

Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d'une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an.

Les conditions de sa présentation et celles dans lesquelles le Conseil constitutionnel contrôle le respect des dispositions de l'alinéa précédent sont déterminées par une loi organique.

Si la proposition de loi n'a pas été examinée par les deux assemblées dans un délai fixé par la loi organique, le Président de la République la soumet au référendum.

Lorsque la proposition de loi n'est pas adoptée par le peuple français, aucune nouvelle proposition de référendum portant sur le même sujet ne peut être présentée avant l'expiration d'un délai de deux ans suivant la date du scrutin.

Lorsque le référendum a conclu à l'adoption du projet ou de la proposition de loi, le Président de la République promulgue la loi dans les quinze jours qui suivent la proclamation des résultats de la consultation.

 

 

Règlement de l'Assemblée nationale

Chapitre XII
Propositions de référendum
Article 122

1. Lors de la discussion d'un projet de loi portant sur un objet mentionné à l'article 11, alinéa 1, de la Constitution, il ne peut être présenté qu'une seule motion tendant à proposer de soumettre ce projet au référendum.

2. Ladite motion doit être signée par un dixième au moins des membres de l'Assemblée. Elle ne peut être assortie d'aucune condition ou réserve, ni comporter d'amendement au texte déposé par le Gouvernement.

3. Cette motion est discutée immédiatement avant la discussion générale du projet ou, si la discussion générale est commencée, dès son dépôt. Elle n'est appelée que si la présence effective en séance des signataires est constatée au moment de l'appel. Elle a priorité, le cas échéant, sur la question préalable.

4. Dans la discussion, peuvent seuls intervenir l'un des signataires pour une durée qui ne peut excéder trente minutes, le Gouvernement et le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond. Avant le vote, la parole est accordée, pour deux minutes, à un orateur de chaque groupe.

5. L'adoption de la motion suspend la discussion du projet de loi. La motion adoptée par l'Assemblée est immédiatement transmise au Sénat, accompagnée du texte auquel elle se rapporte.

6. Si le Sénat n'adopte pas la motion dans le délai de trente jours à compter de cette transmission, la discussion du projet reprend devant l'Assemblée au point où elle avait été interrompue. Aucune nouvelle motion tendant à proposer un référendum n'est alors recevable.

7. Le délai mentionné à l'alinéa précédent est suspendu entre les sessions ordinaires ou lorsque l'inscription de la discussion de la motion à l'ordre du jour du Sénat a été empêchée par la mise en oeuvre des priorités prévues à l'article 48, alinéas 2 et 3, de la Constitution.

Article 123

1. Lorsque l'Assemblée est saisie par le Sénat d'une motion tendant à proposer de soumettre au référendum un projet de loi en discussion devant ladite assemblée, cette motion est immédiatement renvoyée en commission. Elle est inscrite à l'ouverture de la plus prochaine séance sous réserve, le cas échéant, des priorités prévues à l'article 48, alinéas 2 et 3, de la Constitution.

2. L'Assemblée doit statuer dans un délai de trente jours à compter de la transmission qui lui est faite par le Sénat. Ce délai est suspendu entre les sessions ordinaires ou lorsque l'inscription de la discussion de la motion à l'ordre du jour de l'Assemblée a été empêchée par la mise en oeuvre des priorités prévues à l'article 48, alinéas 2 et 3, de la Constitution.

3. En cas d'adoption de la motion, le Président de l'Assemblée en informe le Président du Sénat. Il notifie au Président de la République le texte de la motion conjointement adoptée par les deux assemblées. Ce texte est publié au Journal officiel.

4. En cas de rejet de la motion, le Président de l'Assemblée en informe le Président du Sénat. L'Assemblée passe à la suite de l'ordre du jour. Aucune motion tendant à soumettre le projet au référendum n'est plus recevable devant l'Assemblée.

Article 124

Lorsque le Président de la République, sur proposition du Gouvernement, décide de soumettre au référendum un projet de loi dont l'Assemblée est saisie, la discussion du texte est immédiatement interrompue.

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