Des listes "Manif pour tous" aux élections municipales: quelles conséquences pour l'UMP et le FN? (22 avril 2013)

Frigide Barjot a annoncé dimanche 21 avril, dans un entretien au journal Corse Matin, que "le concept de ‘‘La manif pour tous’’ va investir le terrain électoral dès les prochaines élections municipales de 2014". Sans dire si elle entend ou non être elle-même candidate et sans dévoiler de liste, la fondatrice du collectif a précisé que l'idée était de "présenter des candidats" dans plusieurs villes "sous une forme et une appellation qui restent à définir".

La présence aux municipales de listes issues de "La manif pour tous" constituerait un handicap pour l'UMP dans certaines villes ancrées à droite.

Aux élections cantonales de 2011, déjà, dans les Yvelines (cantons du Chesnay, de Saint-Germain-en-Laye-sud, de Versailles-nord-ouest et de Versailles-sud) ou les Hauts-de-Seine (cantons de Neuilly-nord (1) et de Levallois-sud), plusieurs candidats UMP avaient été battus par des divers droite, souvent liés au Parti chrétien-démocrate de Christine Boutin (2), au MPF de Philippe de Villiers ou au CNIP du député Gilles Bourdouleix.

C'est précisément l'un d'eux, Philippe Brillault, maire du Chesnay, qui fut le mandataire de la pétition déposée par "La manif pour tous" devant le Conseil économique, social et environnemental. Même si l'intéressé fut largement distancé aux élections législatives de 2012 par l'UMP Henri Guaino... justement devenu l'un des chevau-légers de la droite contre le projet de loi ouvrant le mariage civil aux couples de personnes de même sexe (3).

Les zones géographies de cet électorat potentiel sont sans doute assez proches de celles de Christine Boutin, lors de sa candidature à l'élection présidentielle de 2002 comme lors du scrutin interne à l'UMP en 2004:

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La concurrence serait en revanche moins forte mais non sans conséquence pour le Front national. Il existe en effet pour le parti de Marine Le Pen un électorat potentiel, qui correspond à celui de Jean-Marie Le Pen aux élections européennes - "fondatrices" - de 1984:

"Aux élections européennes de 1984, le FN trouve ses meilleurs appuis dans une bourgeoisie de droite, catholique, aisée, exaspérée par l'arrivée des socialo-communistes au pouvoir. À partir de 1986, cette bourgeoisie retourne au vote utile RPR-UDF. Le FN progresse alors chez les petits commerçants et artisans, la fraction la plus populaire de l'électorat de droite, inquiète pour son avenir. Ensuite, il progresse dans les milieux populaires, déçus par la gauche"
Nonna Mayer, Le Front national. Mutations de l'extrême droite française, sous la direction de Pascal Delwit, Éditions de l'Université de Bruxelles, 2012

Cet électorat avait commencé à revenir aux élections régionales de 2010:

- Gérald Andrieu (Marianne): Vous constatez également une modification géographique du vote Front national. Il a toujours eu plus d’audience à l'Est. C’est encore le cas aujourd’hui. Néanmoins vous notez une réduction de l’écart entre Est et Ouest du pays?
- Jérôme Fourquet (Ifop): Géographiquement, cet écart est en effet moins manifeste que par le passé. Cette différence de score était liée au fait que l’Ouest possédait une composante populaire moins forte que l’Est. Ce que l’on observe, c’est que l’électorat de droite disons « classique » de l’Ouest du pays, cet électorat de droite plutôt bourgeois qui s'oppose à l'ouverture et ressemble à l'électorat du Front du début des années 1980 s’est mobilisé en faveur du FN, tandis qu’à l’Est ses bataillons populaires se sont largement abstenus. C’est très sensible, si l’on compare les résultats de mars 2010 à ceux de la présidentielle de 2002. On note le même phénomène à Paris. C’est dans le 16e arrondissement qu’il réalise son meilleur score alors que par le passé, c’était dans le 18e, les zones proches du périphérique Est...

Or, la présence de listes issues de "La Manif pour tous" pourrait bloquer le FN dans la reconquête de cet électorat. Lors de ces mêmes élections régionales, l'échec de la liste en Île-de-France avait ainsi été imputé - de façon certes un peu exagérée selon moi - à la présence d'une "Liste chrétienne". Ce n'est d'ailleurs sans doute pas un hasard si c'est la tête de liste du FN à Paris, Wallerand de Saint-Just, qui vient de publier un communiqué pour dénoncer "Frigide Barjot démasquée", qui poursuivrait "exclusivement un but de promotion personnelle en accord avec l'UMP".

 

Voici quelques graphiques pour illustrer ces mutations de l'électorat frontiste:

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Source: Sofres, 19-28/06/1984

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Source: Ifop, 22/04/2012

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Source: Sofres, 19-28/06/1984

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Source: Ifop, 22/04/2012


(1) Jean-Christophe Fromantin, maire de Neuilly-sur-Seine, a entre-temps participé à la création de l'UDI, dont il fut à l'Assemblée nationale l'orateur principal contre le projet de loi Taubira.

(2) Bétarice Bourges, égérie du "Printemps français", la frange la plus activiste en rupture avec le collectif de Frigide Barjot, fut candidate divers droite aux élections législatives de 2012, sans étiquette mais - selon mes informations - rattachée au PCD de Christine Boutin pour la première fraction du financement public.

(3) Aux élections législatives, les candidats labellisés PCD ou UPF (MPF et CNIP) n'ont jamais dépassé à l'échelon de la circonscription 10% des suffrages exprimés (seuil de maintien au second tour des élections municipales) sans le soutien de l'UMP, à l'exception du villiériste Dominique Souchet (député sortant) en Vendée. Une étude plus détaillée à l'échelon de la commune serait très simple à réaliser pour qui en a le temps!

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