Le programme du FN d'aujourd'hui est-il comparable au programme du PCF d'hier? (21 avril 2015)

Le PCF voit rouge depuis que François Hollande a déclaré, dimanche 19 avril, sur Canal+, que Marine Le Pen "parle comme un tract du Parti communiste des années soixante-dix". Tout en soulignant que le PCF "ne demandait pas qu'on chasse les étrangers, qu'on fasse la chasse aux pauvres", le président de la République a mentionné la fermeture des frontières et la nationalisation des industries.

Le but des propos de François Hollande est très clair : convaincre l'électorat populaire que le projet économiques de Marine Le Pen serait ringard en ce qu'il ressemblerait à "un tract du Parti communiste des années soixante-dix". Reste à savoir si ce n'est précisément pas l'abandon de certains marqueurs historiques de la gauche qui fait qu'une grande partie de l'électorat populaire – ouvriers et employés – vote aujourd'hui FN et non plus PCF ou PS...

Avec un peu de méchanceté, on pourrait plutôt se demander si l'action gouvernementale de Manuel Valls ressemble ou non à un tract de François Hollande… des années 2012 ! Il est d'ailleurs étonnant de voir la gauche de gouvernement se placer sur le terrain de la droite, qui dispute à l'extrême droite un électorat de droite "décomplexée" en affirmant que le programme économique de Marine Le Pen serait "d'extrême gauche".

Ce qui est stratégiquement compréhensible chez Nicolas Sarkozy ne l'est pas chez François Hollande, qui, se faisant, donne une caution "de gauche" au FN en l'inscrivant dans la continuité historique de la "première gauche", jacobine et étatiste. Florian Philippot n'en demandait pas tant. "Le PCF devrait être fier au contraire d'être comparé le temps d'une interview à un grand mouvement populaire, social, patriote", a réagi le vice-président du FN.



Laissons dans cette note ces questions ouvertes (de même que celle du transfert de la "fonction tribunitienne" du PCF au FN), et regardons si le FN d'aujourd'hui est ou non comparable au PCF d'hier…

Un constat s'impose au préalable : historiquement, l'anticommunisme constitue, avec l'antigaullisme, le terreau de l'extrême droite représentée à partir de 1972 par le Front national. Notons pour l'anecdote que son secrétaire administratif dans les années soixante-dix était Victor Barthélémy, un ancien de la Section française de l'internationale communiste (SFIC) passé dans les années trente avec Jacques Doriot "du communisme au fascisme", titre de ses mémoires (Du communisme au fascisme. L'histoire d'un engagement politique, Albin Michel, 1978). Au-delà, qu'en est-il sur le fond ?

Première convergence : l'opposition à une Europe supranationale. Le manifeste électoral du PCF pour les élections européennes de 1979 comporte vingt propositions, parmi lesquelles "défendre l'indépendance nationale en excluant toute forme de supranationalité" et "préserver la souveraineté de décision de tout État membre par le strict maintien de la règle de l'unanimité au sein du conseil des ministres". Ses candidats s'engagent donc à "défendre résolument l'indépendance de la France, la souveraineté de son peuple, la sauvegarde de leurs intérêts". Encore faut-il préciser que ce souverainisme est à l'époque aussi porté par le courant chevènementiste du PS ou par le RPR néo-gaulliste ("appel de Cochin" de Jacques Chirac). C'est pourquoi ­Michel Rocard, chef de file politique de la "deuxième gauche", évoque une "alliance PCF-RPR soudée par la plus dangereuse des passions, le nationalisme" (12/12/1978).

pcf-fabriquons.jpgDeuxième convergence : le protectionnisme. "Ceux qui parlent de reconquête du marché intérieur sans prendre des mesures pour empêcher l'invasion de notre économie par des produits étrangers se moquent du monde", expose l'économiste du PCF Philippe Herzog en défendant, le 14 avril 1981, la candidature de Georges Marchais. Dès 1970, deux affiches présentent le Parti communiste français en tant que "parti de la classe ouvrière, du peuple, de la nation".

Le 5 septembre 1977, Le Nouvel Observateur titre sur "les élections et le nationalisme, la France du cocorico" en relatant notamment la manifestation organisée par le PCF, le 12 juillet 1977, devant le siège de la compagnie américaine TWA aux Champs-Élysées afin d'exiger le droit du Concorde d'atterrir à New York. Un film de Théo Robichet en a conservé la mémoire des slogans : "Boeing go home", "Avec le PCF défendons l'industrie aéronautique. Il y va de l'intérêt national", "Ils veulent briser les ailes du Concorde, défendons-le !", "Giscard, Chirac assez d'abandons ! Pas de Concorde à New York, pas de Boeing à Paris !", "Ils ferment nos usines. Ils investissent à l'étranger : Fabriquons français !".

pcf-produits.pngLe PCF lance ensuite plusieurs campagnes afin de protéger le "produisons français" ou "fabriquons français". Il va jusqu'à éditer des autocollants "spécialement conçus pour être apposés sur les machines ou les produits d'origine étrangère". Edmond Maire, secrétaire général de la CFDT, incarnation syndicale de la "deuxième gauche", fustige alors, le 1er février 1979, dans France Soir, "la xénophobie et le nationalisme" du PCF et de la CGT.

Faisant le lien entre l'économie et l'Europe, Pierre Juquin lance le 26 juillet 1978, à Toulouse, la campagne du PCF contre l'élargissement de la Communauté économique européenne à la Grèce, à l'Espagne et au Portugal autour du slogan "vivre au pays, produire français" (allusion également au slogan occitaniste "volem viure al païs"). Le Parti communiste français reçoit aussitôt les foudres du Parti communiste d'Espagne, qui accuse son homologue français de "réveiller les démons réactionnaires". Il est vrai que Georges Marchais s'oppose parallèlement à l'"euro-communisme" inventé par l'Espagnol Santiago Carrillo (qui finira par quitter le PCE) et l'Italien Enrico Berlinguer.

Toujours en économie, Marine Le Pen est aujourd'hui la seule, avec Jean-Luc Mélenchon, à vouloir des nationalisations, comme la gauche du "programme commun" (1972-1977). Si le PS a définitivement tourné le dos à cette orientation depuis son tournant social-libéral de 1983, il ne s'agit toutefois pour le FN que de "nationalisations partielles et temporaires des banques de dépôt" ou de "nationalisations temporaires" de sites industriels (en particulier Florange) au nom d'une intervention stratégique de l'État.

Troisième convergence, partielle : l'immigration. Le 6 janvier 1981, dans une lettre adressée au recteur de la Mosquée de Paris et publiée dans L'Humanité, Georges Marchais dénonce "l'immigration massive" qui permet au patronat "d'exercer une pression sur les salaires" à la baisse. "Il faut arrêter l'immigration, sous peine de jeter de nouveaux travailleurs au chômage", poursuit-il. Dans sa présentation des "principales propositions économiques" pour l'élection présidentielle de 1981, Le Monde cite donc à la rubrique "lutte contre le chômage" l'"arrêt de l'immigration" chez trois candidats: Jacques Chirac, Michel Debré et Georges Marchais.

Revenons à sa lettre ouverte. "Quand la concentration devient très importante (…) la crise du logement s'aggrave ; ​les HLM font cruellement défaut et de nombreuses familles françaises ne peuvent y accéder. Les charges d'aide sociale nécessaire pour les familles immigrées plongées dans la misère deviennent insupportables pour les budgets des communes peuplées d'ouvriers et d'employés. L'enseignement est incapable de faire face et les retards scolaires augmentent chez les enfants, tant immigrés que français. Les dépenses de santé s'élèvent", égrène le député du Val-de-Marne.

De fait, le PCF dirige en banlieue de nombreuses villes où se concentrent les populations immigrées. C'est dans ce contexte que Paul Mercieca, maire de Vitry-sur-Seine, démolit au bulldozer, le 24 décembre 1980, le chantier d'un foyer destiné à loger de jeunes travailleurs français mais où s'étaient illégalement installés des travailleurs immigrés. "J'approuve son refus de laisser s'accroître dans sa commune le nombre, déjà élevé, de travailleurs immigrés", avance Georges Marchais en promouvant, à l'inverse, de la mixité sociale, c'est-à-dire "une répartition équitable des travailleurs immigrés entre toutes les communes".

Il n'empêche, les déclarations du secrétaire général du PCF ne sont pas sans ambiguïté. S'il dit rejeter "la notion non scientifique et raciste d'un prétendu «seuil de tolérance»", cette idée est bien présente dans son texte. "Ainsi se trouvent entassés dans ce qu'il faut bien appeler des ghettos, des travailleurs et des familles aux traditions, aux langues, aux façons de vivre différentes. Cela crée des tensions, et parfois des heurts entre immigrés des divers pays. Cela rend difficiles leurs relations avec les Français", écrit-il en effet. "En finir avec les ghettos qui favorisent le racisme", clame en outre une affiche du PCF.

Autre ambiguïté : cette affiche, justement rediffusée par L'Humanité afin de répondre au parallèle opéré par François Hollande, promet "garantie du droit d'asile et regroupement familial" (instauré en 1976 par Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Chirac et Michel Durafour). Dans le même temps Georges Marchais estime néanmoins que "la présence en France de près de quatre millions et demi de travailleurs immigrés et de membres de leurs familles, la poursuite de l'immigration posent aujourd'hui de graves problèmes. Il faut les regarder en face et prendre rapidement les mesures indispensables". Bel exemple de double discours!



Comparaison n'est cependant pas raison jusqu'au bout. "Il faut donner aux travailleurs immigrés les mêmes droits sociaux qu'à leurs camarades français", plaide le candidat du PCF à l'élection présidentielle de 1981, aux antipodes cette fois de la préférence nationale ultérieurement théorisée par le FN.

Il s'agit en revanche bien d'égalité des droits sociaux et non d'égalité des droits politiques: lors des discussions du "programme commun", le PS se heurte au PCF et au MRG sur l'octroi du droit de vote aux étrangers pour les élections municipales (cf. François Loncle, Autopsie d'une rupture. La désunion de la gauche, Jean-Claude Simoën, 1979). Déposée au Sénat le 20 décembre 1977 par le groupe communiste, la proposition de loi "tendant à garantir les droits et les libertés des travailleurs immigrés et des étrangers en France" ne propose ainsi que le droit de vote et d'éligibilité aux élections professionnelles (article 9). Ce n'est qu'en 1985 que le PCF rejoindra la position du PS sur le sujet.

"Il faut stopper l'immigration officielle et clandestine, mais non chasser par la force les travailleurs immigrés déjà présents en France", insiste enfin Georges Marchais, en invitant "les travailleurs immigrés et français non pas à se combattre entre eux, mais à unir leurs forces contre leurs vrais ennemis communs, les exploiteurs et ceux qui les servent."

Laurent de Boissieu
(version longue de mon article publié dans La Croix)

 

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