François Hollande est-il social-démocrate ou social-libéral? (14 janvier 2014)

La social-démocratie est aujourd'hui synonyme de socialisme réformiste, même si cela ne correspond pas à la réalité historique (cf. "De la définition de la social-démocratie").

Idéologiquement, la social-démocratie ainsi définie se caractérise par l'intervention de l'État (keynésianisme, planification indicative) dans le cadre d'une économie sociale de marché - loin de l'économie administrée marxiste, même si un fort degré de nationalisations et de planification peuvent l'en approcher -, par l'État-providence (sécurité sociale, services publics, politique redistributive des revenus) et par la démocratie sociale impliquant les partenaires sociaux (pratique des conventions collectives, paritarisme).

De telles orientations correspondent globalement aux politiques économiques et sociales mises en œuvre en Europe entre la crise de 1929 et le second choc pétrolier de 1979. Cette idéologie dominante - au sens gramscien - était commune aux partis sociaux-démocrates (ou socialistes ou travaillistes, selon les cultures nationales) et aux partis démocrates-chrétiens de l'après-guerre, ainsi qu'au gaullisme en France.

 

Avec les crises de 1973 et 1979 une nouvelle idéologie dominante va cependant s'imposer: le néolibéralisme, incarné par Margaret Thatcher au Royaume-Uni (1979) et Ronald Reagan aux États-Unis d'Amérique (1981).

Dès lors, les politiques mises en œuvre partout vont remettre en cause le modèle européen social-démocrate (libéralisation des marchés financiers, libéralisation des grands services publics en réseau, diminution de la progressivité de l'impôt sur les revenus, diminution de la prise en charge publique des dépenses de santé, etc.).

Sous la présidence de Jacques Delors (PS), de 1985 à 1995, la Commission européenne a accompagné ces politiques d'inspiration néolibérale et monétariste, devenues inséparables de l'Acte unique européen de 1986 (mise en concurrence des systèmes fiscaux et sociaux des États membres au sein d'un marché unique sans politiques fiscale et sociale uniques) puis du traité de Maastricht de 1992 (monnaie unique, donc politique monétaire unique - avec priorité donnée à la lutte contre l'inflation et non à la lutte contre le chômage - et "règle d'or" d'équilibre budgétaire s'opposant de plus en plus drastiquement de traité en traité à toute politique nationale de relance par l'investissement public).

 

Comment ont dès lors évolué les partis sociaux-démocrates?

Le SPD allemand a été le premier, au nom du pragmatisme, à se rallier aux politiques libérales de l'offre. C'est le fameux théorème formulé en 1976 par le chancelier Helmut Schmidt: "Les profits d'aujourd'hui sont les investissements de demain et les emplois d'après-demain".

Les sociaux-démocrates se sont alors idéologiquement transformés en sociaux-libéraux. Alors que la social-démocratie était une troisième voie démocratique entre marxisme et capitalisme, le social-libéralisme se présente lui comme une troisième voie entre social-démocratie et néolibéralisme "pur" des néolibéraux.

Ce social-libéralisme a été théorisé en Grande-Bretagne par la "troisième voie" de Tony Blair et Anthony Giddens (1998: The Third Way. The Renewal of Social Democracy) et en Allemagne par le "nouveau centre" de Gerhard Schröder.

Politique de l’offre, "choc" de simplification administrative, baisse des cotisations sociales des entreprises et des dépenses publiques (État et sécurité sociale): verbalement, la ligne fixée par François Hollande se rattache bel et bien au social-libéralisme et non à la social-démocratie. D'autant plus que cette dernière impliquerait aujourd'hui de fait une remise en cause des fondements de la construction européenne depuis l'Acte unique européen.

Finalement, le principal lien entre François Hollande et la social-démocratie réside dans l'appel aux partenaires sociaux, tout en soulignant que la social-démocratie n'en possède pas le monopole (il en est par exemple de même avec les néolibéraux qui veulent abroger la durée légale du travail, nationale, afin de la décentraliser aux partenaires sociaux, à l'échelon des branches voire des entreprises).

Le social-libéralisme ne constitue toutefois pas une rupture doctrinale chez lui, mais plutôt un retour aux sources. Même s'il les avait mises entre parenthèses lorsqu'il était premier secrétaire du PS (de 1997 à 2008, compromis interne autour du plus petit dénominateur commun) puis durant la campagne présidentielle de 2012 (pressions sur sa gauche de Jean-Luc Mélenchon), ce sont en effet les convictions profondes de cet ancien proche de Jacques Delors, de ce "bébé Delors" (il ne s'agit donc pas non plus d'une seule stratégie politique de "triangulation" reprenant à gauche des notions de droite). Des convictions avec lesquelles le président de la République avait renouées dès sa première conférence de presse, en novembre 2012 (ce qui signifie que ses vœux aux Français pour 2014 et sa troisième conférence de presse dans la foulée n'ont en rien marqué un tournant mais la confirmation et l'accentuation d'une ligne antérieure). Bref, Hollande a progressivement assumé de redevenir Hollande (pas assez vite et loin néanmoins pour François Bayrou, entre-temps passé avec armes et bagages dans l'opposition!).

 

*
**

De la définition de la social-démocratie

 

Dans le langage courant, social-démocrate est devenu synonyme de socialisme réformiste, c'est-à-dire de socialisme non révolutionnaire ou non marxiste. Or, il n'en est rien, ni en science politique ni historiquement. Rappelons par exemple que le Parti communiste de l'Union soviétique (PCUS) est issu de l'aile bolchévique, majoritaire, du Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR).

 

Depuis les analyses d'Alain Bergounioux et Gérard Grunberg (1996: L'utopie à l'épreuve. Le socialisme européen au XXe siècle), on distingue en science politique trois variantes de partis membres de la IIe Internationale (ou Internationale ouvrière puis Internationale socialiste), dont le positionnement politique (plus ou moins à gauche) n'est pas le critère:

- les partis sociaux-démocrates se caractérisent par un lien et une complémentarité entre parti et syndicat de travailleurs puissants.

- les partis socialistes (dont en France la SFIO puis le PS) sont par défaut ceux qui n'ont pas pu nouer un tel lien avec un syndicat de travailleurs puissant (adoption en 1906 de la Charte d'Amiens de la CGT française posant le principe de l'indépendance syndicale).

- les partis travaillistes constituent à l'origine le prolongement parlementaire des syndicats, avec lesquels ils conservent un lien organique; ils sont en outre exempts d'anticléricalisme.

 

L'acceptation courante du terme social-démocrate, par opposition à marxiste, a pour origine deux ruptures.

 

La première rupture, c'est la création en 1919 de la IIIe Internationale ou Internationale communiste (Komintern). Contrairement à une autre opinion commune, la séparation entre les sections de l'Internationale ouvrière et celles de l'Internationale communiste ne s'est pourtant pas opérée entre socialistes réformistes d'un côté et socialistes révolutionnaires de l'autre, mais à l'intérieur du courant marxiste entre ceux qui refusèrent et ceux qui acceptèrent les vingt-et-une conditions d'admission au Komintern posées en 1920.

La SFIO amalgamait ainsi une aile réformiste assumée (minoritaire, avec des figures comme Pierre Renaudel en 1920 puis Daniel Mayer en 1946) et une aile marxiste (majoritaire). Le décalage entre d'une part un discours révolutionnaire marxiste et d'autre part une pratique parlementaire ou gouvernementale réformiste est ce que l'on a successivement appelé le guesdisme puis, surtout, le mollétisme.

À noter que dès cette séparation le terme social-démocrate est employé péjorativement par les partis communistes, comme synonyme de "social-traître".

 

La seconde rupture, c'est le fameux congrès de Bad Godesberg du Parti social-démocrate d'Allemagne (SPD) en 1959. Lors de ce congrès, le SPD a renoncé à toute référence au marxisme. Dès lors, le terme social-démocrate devient synonyme de socialisme réformiste, quand bien même le SPD s'intitulait déjà "social-démocrate" lorsqu'il était formellement marxiste!

En France (avec la pression à gauche d'un parti communiste, inexistant en Allemagne de l'Ouest), ce n'est qu'en 1990 (congrès de Rennes) que la déclaration de principe du PS a officiellement abandonné toute référence au marxisme.

Cette fois, c'est le terme social-libéral qui se trouve péjorativement connoté (parallèlement, de façon beaucoup plus globale en France, au libéralisme). Une connotation négative qui vient malheureusement polluer toute analyse sereine du hollandisme: non, "social-libéral" n'est pas une insulte!

23:55 | Lien permanent | Commentaires (11) |  Facebook | |  Imprimer | |