Vers une nouvelle majorité? (29 avril 2014)

Manuel Valls ne s'y est pas trompé: "Ce n'est pas un vote indicatif mais décisif".

Comme j'ai déjà eu maintes fois l'occasion de l'expliquer, je fais partie de ceux qui pensent que les clivages partisans ne correspondent plus aux clivages idéologiques.

Cette situation ne perdure que grâce au manque de courage de parlementaires qui, dans un contexte de régime semi-présidentiel et de bipolarisation droite-gauche, restent accrochés à la machine électorale qui peut assurer leur réélection.

Rares sont en effet ceux qui ont osé rompre afin de mettre en cohérence leurs convictions et leur appartenance partisane. Citons Jean-Pierre Chevènement, Nicolas Dupont-Aignan, François Bayrou ou Jean-Luc Mélenchon. Les échecs de Jean-Pierre Chevènement en 2002 et de François Bayrou entre 2007 et 2012, respectivement retournés à gauche et à droite, et la marginalité de Nicolas Dupont-Aignan (1,79% à la présidentielle de 2012) illustrent, certes, toute la difficulté de l'entreprise. Seul Jean-Luc Mélenchon s'en sort pour l'instant relativement bien (11,10% à l'élection présidentielle) en apportant son bagout au socle électoral - même rétréci - du PCF.

 

"Il n'y a plus qu'une différence de degré
entre la majorité gouvernementale et l'opposition MoDem-UDI-UMP;
alors qu'au sein du PS il y a une différence de nature
entre sociaux-libéraux et sociaux-démocrates keynésiens"

 

Le vote sur le programme de stabilité 2014-2017 est révélateur: 5 députés de droite ont voté pour (1 MoDem, 3 UDI et 1 UMP) et 21 se sont abstenus (1 MoDem, 17 UDI et 3 UMP); tandis qu'à l'inverse 27 députés de gauche ont voté contre et 46 se sont abstenus.

Plus intéressant, les députés de droite ont voté contre ou se sont abstenus non pas parce qu'ils sont contre l'orientation du programme de stabilité, mais pour une question de degré, parce qu'ils estiment que cette politique ne va pas assez vite et pas assez loin.

À l'inverse, les députés de gauche se sont abstenus parce qu'ils sont contre la nature du programme de stabilité. Qu'on ne s'y trompe pas: il ne s'agit donc pas d'une grogne au sein de la majorité mais d'une véritable fracture idéologique à gauche entre sociaux-démocrates keynésiens et sociaux-libéraux. Ces derniers soutiennent la politique de l'offre, dominante chez les autres partis de gouvernement de gauche de l'Union européenne. Affichée par François Hollande dès sa première conférence de presse, le 13 novembre 2012, elle n'est toutefois pleinement assumée que depuis la nomination de Manuel Valls à Matignon. Mais "trop tard" pour François Bayrou et le MoDem, qui attendaient pourtant depuis longtemps une telle recomposition.

Dit autrement, sur la politique économique et sociale il n'y a plus qu'une différence de degré entre la majorité gouvernementale de gauche et l'opposition de droite MoDem-UDI-UMP (exception faite, résiduellement, de quelques néogaullistes keynésiens de l'UMP comme Henri Guaino); alors qu'au sein du PS il y a une différence de nature entre les sociaux-libéraux d'un côté et les sociaux-démocrates keynésiens de l'autre.

 

Or, ce vote confirme que la majorité gouvernementale n'est aujourd'hui en réalité plus que de 267 voix (260 votes "pour" issus de la gauche, les 6 députés nommés au gouvernement et le président de l'Assemblée nationale) sur 575 (2 sièges vacants), c'est-à-dire seulement 46% des sièges.

Dans n'importe quel régime parlementaire classique, dans ces conditions il y aurait aussitôt un changement de majorité gouvernementale: le même premier ministre, Manuel Valls, avec une majorité dont sortiraient les keynésiens du PS et entreraient le MoDem ainsi que les sociaux-libéraux de l'UDI voire de l'UMP (bien uniquement les sociaux-libéraux, pas les libéraux-conservateurs).

Bien entendu, avec le système institutionnel et partisan de la Ve République il n'en sera rien. Tout le monde va gentiment rentrer dans le rang, comme si de rien n'était, pour les élections européennes du 25 mai (en fermant les yeux et en serrant les fesses car ni l'UMP ni le PS ne sont en capacité de définir un projet européen cohérent).

Jusqu'à la prochaine fois.

Car ne l'oublions pas: le programme de stabilité n'est qu'un document que tous les ans la France doit envoyer à la Commission européenne de Bruxelles, celle-ci formulant ensuite au gouvernement français des "recommandations" en vue de la préparation de la future loi de finances. Texte dont le vote reproduira en décembre exactement le même clivage.

Mais d'ici-là les ministères auront peut-être concocté je ne sais quel projet de loi sociétal en vue de maintenir sous respiration artificielle l'actuel clivage droite-gauche.

 

*
**

 

Analyse du scrutin public sur la déclaration du gouvernement sur le projet de programme de stabilité pour 2014-2017:

vote.jpg

Mon pronostic avant le vote des députés (dernière version):

votep.jpg

NV: non-votant, dont les 6 députés nommés au gouvernement (4 SRC, 2 RRDP) et le président de l'Assemblée nationale.

 

 

 

 

tg.jpg

23:11 | Lien permanent | Commentaires (6) |  Facebook | |  Imprimer | |