Zemmour reprend-il l'ancien programme du RPR sur l'immigration? (14 janvier 2022)

Éric Zemmour se réfère aux interrogations formulées par la droite chiraquienne et giscardienne lors de sa parenthèse la plus ferme sur l’immigration, en 1990-1991. Mais ses propositions sont en réalité différentes et bien plus extrémistes. Analyse comparative.

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Éric Zemmour ne cesse de se réclamer du RPR, le parti créé en 1976 par Jacques Chirac à partir du vieil appareil gaulliste. Cette captation d’héritage lui permet de s’inscrire dans une filiation de droite, et non d’extrême droite. Ce ne serait donc pas lui qui serait extrémiste, ce serait la droite d’aujourd’hui qui aurait abandonné ses idées hier.

L’accusation n’est pas nouvelle, les héritiers du gaullisme ayant il est vrai opéré plusieurs mutations idéologiques, sur l’économie, la construction européenne ou les institutions. Ce qui expliqua l’ancienne division du RPR entre gaullistes orthodoxes fidèles (Charles Pasqua, Philippe Séguin) et néogaullistes infidèles (Alain Juppé, Édouard Balladur). Mais l’originalité d’Éric Zemmour est de se focaliser sur une autre thématique: l’immigration.


Continuité du RPR à LR

Les 31 mars et 1er avril 1990, à Villepinte, l’opposition de droite (RPR-UDF-CNIP) avait organisé des états généraux de l’opposition sur l’immigration. C’est à cette convention que fait référence Éric Zemmour en s’appuyant sur un résumé des travaux diffusé le 2 octobre 2014 dans l’émission "Des paroles et des actes", sur France 2: "fermeture des frontières", "suspensions de l’immigration" (autrement dit: un moratoire), "réserver certaines prestations sociales aux nationaux", "incompatibilité entre l’islam et nos lois".

Dans le détail des propositions, la droite actuelle défend globalement les mêmes idées sur les contrôles aux frontières (désormais celles de l’espace Schengen), la répression de l’immigration clandestine, la lutte contre le détournement du droit d’asile, la limitation du regroupement familial ou la suppression de l’automaticité du droit du sol. Ce dernier point marque une séparation avec l’extrême droite, qui veut purement et simplement abroger le droit du sol au profit du seul droit du sang (1).


La question de la préférence nationale

L’idée de "réserver certaines prestations sociales aux nationaux" est davantage intéressante à analyser, car il s’agit d’un marqueur lepéniste repris par Éric Zemmour (1).

Qu’en disait précisément la droite en 1990?
La question de la préférence nationale était effectivement soulevée par le RPR et l'UDF:

En ce qui concerne les droits sociaux:
a) Il ne saurait être question de remettre en cause les droits qui sont la contrepartie du travail et des cotisations sociales.
b) En ce qui concerne les avantages sociaux qui correspondent aux principes de solidarité nationale et qui sont financés sur le budget de l'État, l'opposition estime, sous réserve du CDS (2), que - comme c'est le cas aujourd'hui - ils peuvent être légitimement liées à des conditions de durée de résidence, de nationalité et de réciprocité.
Etre étranger en France, ce n'est pas avoir automatiquement et intégralement tous les droits liés à la citoyenneté française.
Sur ce point, le CDS affirme sa volonté de voir traiter les étrangers à égalité avec les Français dans tous les domaines de la protection sociale. L'examen de cette question qui fait l'objet d'appréciations juridiques différentes (notamment en ce qui concerne le cadre constitutionnel) sera poursuivi.

Qu'en sera-il?
La préférence nationale ne sera finalement pas retenue par le RPR, dès le 22 mai 1990, dans les cinq propositions de loi présentées lors du débat organisé à l’Assemblée nationale sur l’immigration. Au contraire, celle-ci se transforme en politique sociale à travers une "dotation complémentaire d’intégration versée par l’État aux collectivités qui rencontrent des problèmes graves d’intégration et qui consentent les efforts les plus méritoires pour y faire face".


La question de l’islam

L’idée d’une "incompatibilité entre l’islam et nos lois" est encore plus intéressante à analyser, car il s’agit cette fois du principal marqueur personnel d’Éric Zemmour, le différenciant de Marine Le Pen. De fait, l’ancien polémiste a été condamné, le 17 septembre 2019, par la Cour de cassation, plus haute juridiction de l'ordre judiciaire français, pour "provocation à la discrimination et à la haine religieuse" en raison de propos intimant aux musulmans "l’obligation de renoncer à leur religion ou de quitter le territoire".

Qu’en disait précisément la droite en 1990?
Titrée "Combattre l'intégrisme, intégrer l'islam", une section du document des états généraux de l’opposition soulève bien la question ("L'islam est-il compatible avec les valeurs défendues par notre société?"). Le texte analyse le pour et le contre (3), souligne des "obstacles" (interprétations de la charia: polygamie et inégalité entre les femmes et les hommes; "division des représentants"; "mainmise de l’étranger") et énonce la condition évidente de la reconnaissance de la supériorité des lois de la République.
Mais que concluait alors la droite?

Dans une version modérée, l'islam n'est pas incompatible avec le droit français et nombreux sont les musulmans de France à être satisfaits du système laïque. Intégrer l'islam serait donc possible. (...) L'islam comme les autres religions a droit de cité dans notre pays.

Bref, contrairement à Éric Zemmour, il n’était en réalité pas question pour le RPR et l'UDF d'une incompatibilité de principe et irréductible entre la France et tout islam.

Laurent de Boissieu

(1) Éric Ciotti a toutefois récemment brouillé la ligne de démarcation entre la droite et l'extrême droite en reprenant à son compte l'abrogation du droit du sol et la préférence nationale. La logique de ses convictions sur l'immigration serait donc qu'il soutienne la candidature d'Éric Zemmour et non celle de Valérie Pécresse.
(2) Ancienne composante d'inspiration démocrate-chrétienne de l'UDF.
(3) Une lecture rapide et erronée constituerait à ne retenir que les objections contre (dont le passage: "Ainsi, sur certains points, il y a bien incompatibilité entre l'islam et nos lois"), et non les réponses et surtout la conclusion.


Version longue de l'article publié dans La Croix:
L'ombre du RPR plane sur de la campagne d'Éric Zemmour

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