François Bayrou, centre démocrate ou centre républicain ? (09 juin 2010)

Vendredi dernier, j'avais commencé à rédiger une note expliquant en quoi, en l'état actuel, il me semblait faux de parler de "recentrage" de François Bayrou. Je regrette beaucoup de n'avoir pas eu le temps de la finir et de la publier, puisque le jour même le président du MoDem écrivait une lettre aux adhérents afin de réaffirmer que "l'article premier de tout acte d'existence du centre, c'est l'indépendance".

 

Entre les élections européennes de 2009 et les élections régionales de 2010, François Bayrou avait, certes, amorcé un mouvement vers la conclusion d'alliances ciblées avec la gauche au second tour des régionales. Mais, en raison de l'échec du MoDem au premier tour (plus de 10% des suffrages exprimés dans une seule région, entre 5 et 10% dans trois régions), la question ne s'est finalement même pas posée. Comme un remake des élections municipales de 2008 à Paris...

Bref, il aurait été juste de parler de "recentrage" de François Bayrou si et seulement, ayant quitté le centre, il s'y était de nouveau repositionné (quant au fait de rencontrer le président de la République, c'est - fort heureusement - tout à fait normal en démocratie en tant que dirigeant d'un parti représenté au Parlement).

 

En réalité, la seule question qui se pose aujourd'hui à François Bayrou n'est pas celle de son recentrage mais, éventuellement, dans le contexte des grandes manœuvres en cours au centre droit, celle de son retour stratégique à droite en général et au centre droit en particulier.

Personnellement, je ne crois pas à ce scénario.

Même si, tactiquement, dans la perspective des élections sénatoriales de septembre 2011, il n'est pas impossible que le MoDem trouve avantage à soigner ses relations (jamais rompues au Sénat) avec le centre droit. Je rappelle en effet que cinq des six sénateurs MoDem seront alors renouvelables (Denis Badré, Didier Borotra, Jacqueline Gourault, Jean-Jacques Jégou, Jean-Marie Vanlerenberghe). C'est en tout cas comme cela que j'interprète la présence de la sénatrice Jacqueline Gourault, ce mardi soir, aux Assises de refondation du centre organisées par Jean Arthuis et Jean-Louis Bourlanges (de retour).

 

Quoi qu'il en soit, le débat sur la notion de centre a été relancé sur son blog par Jean-François Kahn. Fait exceptionnel : François Bayrou a lui-même posté un commentaire (le numéro 104; des internautes en ont douté, mais l'ancien candidat à l'élection présidentielle m'a confirmé ce soir par téléphone en être bien l'auteur).

Comme il l'avait déjà fait à l'automne 2007 dans la revue Commentaire, le président du MoDem rejoint un de mes leitmotivs sur ce blog en opérant une distinction entre le positionnement géographique ("centre") et idéologique ("démocrate"). Malheureusement, François Bayrou retombe vite dans l'amalgame entre la géographie (idéologiquement neutre, spatialement et temporellement) et l'idéologie (géographiquement non génétiquement marquée) en écrivant qu'il existe "une génétique politique de « droite »" et "une génétique politique de « gauche »".

 

Autre contradiction : François Bayrou écrit, d'un côté, qu'il ne s'agit pas de proposer un projet "« entre » droite et gauche", mais "« autre » que droite et gauche". De l'autre, patatras !, il parle des Français qui veulent "à la fois une part de gauche, une part de droite" et d'un "courant majoritaire dans la société française, dont chacun des tronçons est minoritaire dans son propre camp".

 

En fait, deux Bayrou semblent s'affronter dans ce texte. :

Le Bayrou de 1994 démocate-chrétien, qui, en prenant la présidence du Centre des Démocrates Sociaux (CDS), appelait à la création d'une "grand centre" de Jacques Delors (PS) à Édouard Balladur (RPR). Bref, à un rassemblement de tous ceux qui appartenait à ce qu'Alain Minc nommait alors le "cercle de la raison", néolibéral et monétariste (dont les jalons sont le maintien du franc au sein du SME avec le "tournant de la rigueur" en 1982-1983, l'Acte unique européen de 1986, le traité de Maastricht de 1992).

Le Bayrou de 2007 populiste (au sens positif que je donne à ce terme, comme l'hebdomadaire Marianne), qui, candidat à l'élection présidentielle, en appelait au peuple contre les élites néolibérales
...notamment incarnées par Alain Minc !

 

Pour reprendre la distinction de Régis Debray en 1996 (Êtes-vous démocrate ou républicain ?), le premier Bayrou est démocrate, le second républicain (ou, plus précisément, républicaniste; Jean-François Kahn parle, lui, de "centrisme révolutionnaire").

Or, même s'il s'en sort par un aller-retour spatio-temporel, François Bayrou revendique justement ces deux termes dans la conclusion de son texte : "Les deux adjectifs « non géographiques » qui désignent le mieux cette politique sont « démocrate » en référence au grand courant progressiste et réformiste, (auquel nous appartenons et qui allie le puissant courant démocrate américain, l’immense parti du congrès en Inde, le parti du nouveau premier ministre japonais), et « républicain », en référence à notre histoire nationale."

Alors, centre démocrate ou centre républicain ?

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