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03 janvier 2017

Décembre 1958-décembre 1959: la parenthèse libérale du gaullisme

"De Gaulle était d'abord un libéral (...) Je sais que la gauche a voulu en faire un socialiste mais c'était un libéral", a lancé François Fillon, ce mardi 3 janvier 2017. Lorsqu'on parle du libéralisme réel ou supposé de De Gaulle, c'est toujours la même preuve qui est donnée: le Plan Pinay-Rueff d'assainissement financier, élaboré entre septembre et décembre 1958 (dévaluation, nouveau franc, lutte contre l'inflation, désindexation des prix, équilibre budgétaire).

De fait, à son retour au pouvoir en juin 1958, Charles de Gaulle a souhaité lutter contre le déficit budgétaire. Mais ce n'était pas par idéologie libérale: c'était pour ensuite conduire une politique industrielle, c'est-à-dire d'intervention de l'État.

 

Concrètement, dès décembre 1959 l'opposition entre libéraux et dirigistes s'accentue au sein du gouvernement, d'un côté le libéral Antoine Pinay, de l'autre les gaullistes sociaux Jean-Marcel Jeanneney et Edmond Michelet, soutenus par le premier ministre Michel Debré.

Le 10 décembre, Jean-Marcel Jeanneney, ministre de l'industrie, annonce à l'Assemblée nationale que "le gouvernement étudie la formule d'un bureau de conversion et de développement industriels. Cet organisme pourrait prendre des participations dans les entreprises privées dont on souhaiterait le développement en tel ou tel point. Son action se limiterait à l'accomplissement des missions que le gouvernement lui confierait, comme de contribuer au réemploi des mineurs licenciés".

Parallèlement, Edmond Michelet, ministre de la justice, prépare une réforme du Code du commerce, avec notamment l'attribution du quart des sièges au conseil d'administration à des salariés élus par le personnel, sur présentation des organisations syndicales (au lieu de deux membres du comité d'entreprise, un ouvrier et un cadre, à titre consultatif). Antoine Pinay, ministre des finances et des affaires économiques, s'y oppose en dénonçant une "soviétisation des entreprises".

Extraits de la presse de l'époque:

"Il est faux que «le gouvernement étudie» un projet de cette nature. Antoine Pinay, en effet, a déjà cessé d'«étudier». Et il a conclu son étude par un refus. Refus qu'il oppose également à un second projet du même Jeanneney: la création d'une société d'État pour le raffinage et la distribution des produits pétroliers. Antoine Pinay, alors, ne serait-il plus membre du gouvernement? Le discours dirigiste de Jeanneney, téléguidé par De Gaulle, couvert par Debré, sonne en tout cas, comme une provocation." (Le Crapouillot)

"Ce sont évidemment les nombreuses et importantes divergences qui se sont manifestées avec une vigueur croissante ces dernières semaines entre M. Pinay et plusieurs de ses collègues, qui doivent faire l'objet de sa conversation avec le chef du gouvernement.
Mais ces discussions débouchent sur le terrain politique. Aussi l'entrevue de vendredi soir peut-elle n'être pas décisive dans la mesure où c'est avec le général de Gaulle lui-même que M. Pinay devra, la semaine prochaine, vider le débat et en tirer éventuellement des conclusions pratiques.
Le ministre des finances et des affaires économiques n'entend pas seulement avoir les mains libres pour administrer l'ensemble du secteur économique et financier; il s'oppose à ce qu'il a appelé aux derniers jours de décembre dans un communiqué retentissant «une politique socialiste»
." (Le Monde)

 

Finalement, Antoine Pinay est démissionné par Charles de Gaulle du gouvernement le 13 janvier 1960. Il est remplacé par Wilfrid Baumgartner (alors gouverneur de la Banque de France), "vieil adversaire" de Jacques Rueff "pour qui le crédit devait être gouverné par l'État et non par le marché comme le souhaitait Rueff" (Gérard Minart, Jacques Rueff, un libéral français, préface de Wolfgang Schäuble, Odile Jacob, 2016).

Enfin, le Plan Pinay-Rueff (décembre 1958) est souvent confondu avec le rapport du comité Rueff-Armand (Louis Armand), qui commandait de poursuivre et d'amplifier son orientation libérale (21 juillet 1960). "Ce travail devait compléter celui de décembre 1958. Touchant trop d'intérêts en place, ratissant large et parfois de manière imprécise (les bouchers, les taxis, etc.), le rapport Rueff-Armand ne reçut aucune suite directe", écrit Michel-Pierre Chélini ("Le plan de stabilisation Pinay-Rueff, 1958", Revue d'histoire moderne et contemporaine, 2001/4).
De fait, la politique conduite après le Plan Pinay-Rueff - il existait néanmoins des nuances entre les deux hommes - sera critiquée par Jacques Rueff lui-même dans son "discours sur le crédit" (5 décembre 1961).