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15 décembre 2009

Un grand débat pour un petit emprunt

emprunt.jpgNicolas Sarkozy a fixé hier les priorités de son "grand emprunt" ...en réalité "petit emprunt" puisqu'il ne portera finalement que sur 22 milliards d'euros (or je rappelle que les émissions de dette de la France sont de toute façon estimées l'an prochain à 175 milliards d'euros).

Mais ne boudons pas notre plaisir. Être journaliste, c'est ne pas être partisan. Mais être journaliste, ce n'est pas non plus ne pas avoir de convictions en tant que citoyen. Ce blog me permet d'ailleurs de commenter l'actualité, ce que je ne fais pas dans mes articles pour La Croix (1). Bref, je suis personnellement heureux de ce pas dans la (bonne) direction d'une politique d'investissements publics de long terme. Même si on peut toujours dire qu'elle ne va pas assez loin ou qu'il aurait fallu la lancer il y a longtemps (toute l'habileté d'Henri Guaino ayant justement consisté à saisir l'opportunité de la mise entre parenthèse des contraintes budgétaires européennes en raison de la crise pour convaincre Nicolas Sarkozy de cette amorce d'"autre politique" économique).

Quoi qu'il en soit, autant j'ai été satisfait d'entendre certains propos dans la déclaration introductive du président de la République, autant j'ai été attéré par certaines de ses réponses aux questions de mes confrères. Deux passages me semblent particulièrement édifiants. Je vous en livre un extrait puis mon commentaire.

 

Question : (...) est-ce un retour à la planification ?
Nicolas Sarkozy : (...) pourquoi faire de l’idéologie (...) La planification, c’est trois personnes dans un bureau qui définissent dans leur coin leur système
(2). Suivant les travaux d’Alain Juppé et de Michel Rocard, nous vous annonçons 60 Mds€ puisqu’il y a 35 Mds de public et 25 Mds de privé. C’est le contraire de l’esprit de système, c’est absolument le contraire (...)

Mais pourquoi donc ce refus de Nicolas Sarkozy d'assumer son - petit - volte-face dirigiste ? C'était pourtant une occasion inespérée pour lui, qui se dit gaulliste, de rattacher un volet de sa politique au gaullisme en général et à l'"ardente obligation" du Plan en particulier ! Car il s'agit bel et bien de planification lorsque le président de la République déclare que "l'exigence d'aménagement du territoire impose l'intervention d'un schéma de déploiement du très haut débit arrêté par l'État" puisque "l'initiative privée ne peut y suffire". Comble de la contradiction, Nicolas Sarkozy a explicitement opéré dans son allocution un parallèle avec le plan de rattrapage du téléphone (3), préparé dès 1967 et mis en œuvre dans le cadre du septième Plan de développement économique et social (1976-1980). Chassez le Guaino du discours, et le vrai Sarkozy ressort...

 

Question : Compte tenu de la difficulté, de la gravité des finances publiques, est-ce que vous excluez toujours de revenir sur un certain nombre de baisse d’impôts, d’avantages fiscaux (...) le bouclier fiscal ?
Nicolas Sarkozy : (...) est-ce que vous avez conscience que l’on est en Europe ? Non, parce que c’est un point important. La France est le deuxième pays d’Europe. La France est dans sa famille en Europe. Quel est le premier pays d’Europe ? L’Allemagne (...) L’Allemagne a un bouclier fiscal et le bouclier fiscal est inscrit dans la Constitution (...) Pourquoi l'Europe devrait-elle se traduire que par de mauvaises nouvelles pour les Français et que des bonnes pour les autres. Si vous êtes Président de la République en France, vous souhaitez donner à votre pays les mêmes atouts que ceux des Allemands. Si les socialistes allemands dans la campagne, ils viennent de sortir d'une campagne de législative, n'ont pas proposé la suppression du bouclier fiscal allemand. Et quand M. Schroeder, socialiste allemand, était au pouvoir, deux mandats si mon souvenir est exact, il a gardé le bouclier fiscal, pourquoi voudriez-vous en priver les Français ? (...) Comment garder notre pays, un capitalisme de production, si on fait le contraire des autres, je ne parle pas de la Chine, de l'Inde, je ne parle pas des émergents, je parle de la famille européenne (...)

Nicolas Sarkozy a raison : la mise en concurrence des systèmes fiscaux et sociaux des États membres de l'Union européenne conduit mécaniquement à une politique néolibérale - et donc à une harmonisation sociale vers le bas - afin de survivre aux menaces de délocalisation du travail et d'évasion du capital. Mais Nicolas Sarkozy ne dit pas la vérité : il a toujours défendu le bouclier fiscal à 50% des revenus non pas en raison du marché unique européen mais par dogmatisme néolibéral : "Je ne toucherai pas au bouclier fiscal car je crois au principe selon lequel on ne peut prendre à quelqu'un plus de la moitié de ce qu'il gagne, a-t-il réaffirmé mi-octobre dans Le Figaro. Si on laisse passer une exception, comme par exemple la CSG, ce n'est plus un bouclier".

 

(1) où, conformément à la déontologie journalistique, nous séparons strictement ce qui relève de l'analyse (les articles des rédacteurs spécialisés) et ce qui relève du commentaire (les éditoriaux des rédacteurs en chef)

(2) Henri Guaino, ancien commissaire général au Plan, a dû apprécier...

(3) Nicolas Sarkozy : "Au fond, il s'agit de faire pour le haut débit, ce que notre pays a fait avec un peu de retard dans les années soixante-dix pour le téléphone"

20 octobre 2009

Le grand emprunt viendra bousculer les équilibres du budget

Le projet de loi de finances pour 2010, examiné à partir d'aujourd'hui par les députés, sera pourtant bientôt dépassé, puisqu'il ne tient pas compte du futur grand emprunt. Ce n'est en effet que le mois prochain que la commission présidée par les anciens premiers ministres Alain Juppé (UMP) et Michel Rocard (PS) rendra ses conclusions. Or le montant et les modalités de cet emprunt national impacteront bien évidemment le déficit budgétaire et la dette de l'État.

Hier, dans un entretien au quotidien Les Échos, Michel Rocard a précisé que, selon lui, "l'emprunt ne devra pas être trop supérieur à 30 milliards d'euros". Des propos qui font écho à ceux d'Alain Juppé, qui avait auparavant demandé de ne "pas charger la barque de plus de 20 à 25 milliards par an, d'où l'idée peut-être de faire plusieurs tranches annuelles". Quoi qu'il en soit, pour l'ancien premier ministre de Jacques Chirac, "100 milliards d'euros" constitueraient "un maximum". Reste à déterminer en-dessous de quel seuil cet emprunt national, solennellement annoncé par Nicolas Sarkozy en juin dernier, devant le Parlement réuni en congrès à Versailles, perdrait toute signification. "Si le grand emprunt devient un tout petit emprunt, on aura raté une occasion historique", a d'ores et déjà prévenu Henri Guaino, conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, sans toutefois avancer de chiffre.

Mais Alain Juppé et Michel Rocard partagent le souci de ne pas dévaloriser la qualité de la signature de la France, qui lui permet aujourd'hui d'emprunter sur les marchés financiers à des taux avantageux. Hors futur grand emprunt, les émissions de dette à moyen et long terme sont de toute façon estimées l'an prochain à 175 milliards d'euros. Enfin, l'ancien premier ministre de François Mitterrand a qualifié de "pas raisonnable" l'éventualité de lever cet emprunt national auprès du grand public car "il faudrait majorer de 1,5% la rémunération des souscripteurs pour être sûr du succès de l'opération". Ce choix démarquerait l'emprunt Sarkozy des grands emprunts historiques – Pinay (1952 et 1958), Ramadier (1956), Giscard d'Estaing (1973), Barre (1977) ou Balladur (1993) – qui ont toujours eu une visée politique : mesurer l'adhésion des Français à une politique.

Derrière le montant et l'idée même de ce nouvel emprunt se cache en réalité une bataille sourde, qui dure depuis plus de quinze ans, entre, d'un côté, les partisans de la rigueur budgétaire, et, de l'autre, les partisans – parmi lesquels Henri Guaino – d'une grande politique d'investissements publics de long terme, financée s'il le faut par l'emprunt. Cette "autre politique" s'était jusque-là toujours heurtée aux critères de Maastricht puis au Pacte de stabilité et de croissance. Or ces derniers ont volé en éclat avec la crise : pour 2010, Bercy prévoit un déficit public de 8,5% du PIB (3% maximum selon Maastricht) et une dette des administrations publiques de 84% du PIB (60% maximum selon Maastricht). Depuis son discours de Versailles, Nicolas Sarkozy distingue ainsi trois déficits différents : le "mauvais déficit" ou "déficit structurel" ; le "déficit de crise", conjoncturel, lié au plan de relance ; "le bon déficit qui finance les dépenses d'avenir", à l'exemple de ce que la France a fait "il y a quarante ans (…) avec l'espace, le nucléaire ou l'équipement téléphonique du territoire".

Rien ne dit cependant si, une fois les effets de la crise estompés, cette nouvelle politique publique demeurera compatible avec les engagements européens de la France.

 

Laurent de Boissieu

© La Croix, 20/10/2009