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17 juin 2010

Charles de Gaulle, chrétien de gauche

Les légendes sont parfois tenaces...

Il en est une qui m'agace particulièrement: celle de Charles de Gaulle maurrassien avant-guerre.

Certes, son père Henri de Gaulle fut abonné à L'Action française jusqu'à sa condamnation par Rome en 1926. Certes aussi, des camelots de l'Action Française sont entrés tôt dans la Résistance, par nationalisme et antigermanisme. Mais d'autres sont entrés aussitôt dans la Collaboration, par antirépublicanisme et antisémitisme. Là n'est donc pas la question.

 

Schématiquement, dans les années 1930 les catholiques engagés en politique se divisaient en trois mouvances:

  • l'Action Française (la ligue et le journal), à l'extrême droite
  • le Parti Démocrate Populaire et le quotidien L'Aube à droite et au centre
  • le Parti de la Jeune République et les hebdomadaires Sept (tenu par les Dominicains) puis Temps Présent (tenu par des laïcs après l'interdiction en 1937 par Rome de Sept) à gauche

 

Or, Charles de Gaulle a adhéré avant-guerre au cercle des "Amis de Temps Présent".

Bref, s'il multiplia les contacts dans les années 1930 sur tout l'échiquier politique afin de faire avancer ses idées militaires, il n'a adhéré qu'à un seul groupe, dans la mouvance sociale-chrétienne précisément aux antipodes de l'Action Française.

On peut donc dire de façon certaine que, avant le gaullisme, Charles de Gaulle fut chrétien de gauche (si les influences chrétienne sociale et personnaliste seront fortes dans la doctrine sociale gaulliste, les divergences seront tout autant dans d'autres domaines: l'unitarisme et le souverainisme des gaullistes s'opposera au fédéralisme des démocrates-chrétiens et des personnalistes).

 

La nomination de Charles de Gaulle au gouvernement est ainsi saluée dans son édition du 14 juin par Temps Présent dans un article, rarement cité, intitulé "Les Amis de Temps présent à l'honneur" :

Tous les amis de Temps présent se sont réjouis quand ils ont appris que l'un des leurs, le général Charles de Gaulle, un de nos plus grands et de nos plus hardis techniciens militaires, avait été choisi par M. Paul Reynaud pour l'assister au ministère de la Défense nationale. Le colonel de Gaulle - c'est ainsi qu’il signait hier encore ses articles et ses livres - est un de ceux qui avaient prévu ce que serait une guerre moderne. Intelligent, lucide, cœur droit, notre "Ami" va rendre d'immenses services à la Patrie. Nous le félicitons de grand cœur et les "Amis de Temps présent" lui font confiance.

 

Commentaires

Ah ! Je savais bien que le général était de gauche !

Sinon, j'ai toujours eu du mal à considérer l'Action Française et, d'une manière générale, le maurrassisme comme une pensée chrétienne. Le "nationalisme intégral" n'était guère, à mon sens, que le pendant national-révolutionnaire du gramscisme : un courant politique se concentrant essentiellement sur la conquête culturelle des esprits.

Écrit par : Brath-z | 17 juin 2010

Oui, le nationalisme intégral n'est ni royaliste au sens traditionnel ni chrétien : il instrumentalise la religion.

Écrit par : Laurent de Boissieu | 17 juin 2010

Maurras n'a jamais eu que mépris pour le christianisme et refusait de se «fier aux évangiles de quatre juifs obscurs»... Il professait certes «admiration, respect, amour» envers l'Église «cette Nef de l’ordre intellectuel et moral». Mais le christianisme comme force de transformation de cet ordre social, très peu pour lui : «Voici qu’on invoque au secours du désordre le bizarre Jésus romantique et saint-simonien de mil huit cent quarante. Je connais peu ce personnage et je ne l’aime pas», écrit-il.
Pour lui, l'Église devait donc se cantonner à un role de gardienne de l'ordre moral. Un point c'est tout.
Mais à une époque où la République s'en prenait à l'Eglise, nombre de catholiques ont vu en Maurras et en l'Action Française, des alliés objectifs...

Écrit par : Nicolas S. | 17 juin 2010

Effectivement : instrumentalisation de la religion à travers une vision du catholicisme élément d'unité nationale et de l'Église catholique facteur d'ordre.

Écrit par : Laurent de Boissieu | 17 juin 2010

Il me semble même que Maurras se définissait lui-même comme un agnostique, non ?

En somme, le christianisme de Maurras fut un christianisme culturel plutôt que cultuel : la prise en compte de la présence importante du christianisme dans l'identité nationale française. Dans l'absolu, l'Église aurait pu ne pas exister que ça n'aurait rien changé à la situation. C'est une attitude qui oscille entre la laïcité telle que conçue au XXème siècle (la religion remisée tout à fait dans l'espace privé) et la laïcité de l'époque moderne (l'apparence catholique affichée indépendamment des convictions réelles).

Écrit par : Brath-z | 17 juin 2010

Bravo Laurent pour cette mise au point qui bouscule les idées reçues !!! Comme j'aurais aimé avoir rencontré le colonel de Gaulle dans les années 30 chez les Amis de Temps Présents !!

Un détail concernant l'AF : la position religieuse de Maurras est connue de tous (et en particulier des lecteurs - très éclairés - de ce blog). Mais on connait moins le fait que l'AF pratiquait de même également un royalisme de raison (quasi-instrumentalisé au service de l'unité nationale) plus que de tradition. C'est Maurras qui a converti à l'idée royale ("un roi, ça permet d'unifier la nation aussi sûrement et avec plus d'économie que des centaines de préfet, de bureaux, de lois, de réglement et d'administration" expliquait-il en substance) le petit groupe tout à fait républicain (avec même quelques anars) qu'était l'Action française du début.
Les vrais royalistes de tradition (hobereaux de provinces, curés, dames d'oeuvres, réunis dans des comités dont j'ai oublié le nom) ont d'abord régardé l'AF avec suspicion avant de se rallier, vers 1910-1911, compte tenu du véritable succès de cette nouvelle synthèse nationale-royaliste.

Écrit par : Libéral européen | 17 juin 2010

Le nationalisme intégral de Charles Maurras "pour les nuls" :
1. deux postulats :
1. 1. nationalisme
1. 2. chaque individu cherche son intérêt particulier
2. conséquence : il faut que l'intérêt national se confonde avec un intérêt individuel (donc monarchisme)

Écrit par : Laurent de Boissieu | 17 juin 2010

BRAVO à Laurent de Boissieu, que je viens de voir à la "télévision" (sur Internet) sur La Chaîne Parlementaire dans l'émission sur l'Appel du 18 juin, en compagnie de Georges-Marc Benamou, Dupont-Aignan et une philosophe (J'avais un oeil sur LCP et un oeil sur le match France-Mexique !).

Écrit par : Libéral européen | 17 juin 2010

Laurent de Boissieu, peut être connaissiez vous cette étude sur le De Gaulle des années 30, mais à toutes fins utiles je joins le lien.

http://www.cife.eu/UserFiles/File/301Sigoda.pdf

Merci pour votre article.

Écrit par : fran6h | 18 juin 2010

D'accord avec Laurent. Dans les années 1930, De Gaulle évoluait affectivement dans le milieu démocrate-chrétien/chrétien social, voire catho de gauche. Signe de très grande ouverture d'esprit compte tenu de son milieu familial et professionnel (des milieux ou, parfois, être républicain de droite était déjà mal vu !).

Avant les années 1930, l'inspiration nationaliste à la Barrès a pu mener de Gaulle plus à droite. Il était certainement dans l'esprit de la "génération d'Agathon" de 1912-1913.

Pour compléter le tableau des chrétiens des années 1930, deux petites précisions :
* Le Parti social français (PSF) du colonel de La Rocque était, selon l'historien Pierre Milza, un "christianisme social patriotique.", qui s'inscrivait donc à la gauche de l'AF mais à la droite du PDP. Le PSF a eu, juste avant la guerre, des centaines de milliers d'adhérents.
* Il existait aussi un petit courant socialiste chrétien, voire marxiste-chrétien, autour de la revue Terre Nouvelle, plus à gauche donc que la Jeune République. Si j'ai bien compris, André Philip, futur gaulliste de gauche, en a été proche.

Écrit par : Libéral européen | 18 juin 2010

De Gaulle reste en toute hypothèse un nationaliste incapable d'envisager l'entrée de l'Europe dans l'ère post-nationale après la seconde guerre mondiale et refusant farouchement toutes les innovations institutionnelles sérieuses en vue de construire un vivre-ensemble européen.

En ce qui concerne son action pendant la guerre il y parle beaucoup de "la France", peu de la République, de la démocratie, des droits de l'homme ou des libertés.

Écrit par : Valéry | 19 juin 2010

En 1940-1945 le Général était pour la France libre et républicaine, pas pour l'Europe unie :
http://tinyurl.com/33laml4
Pas vous ?

Écrit par : France Libre | 19 juin 2010

"Chrétien de gauche", "chrétien de gauche", je trouve que tu pousses un tout petit peu.

Écrit par : Emmanuel la Sauce | 21 juin 2010

1) Temps Présent était-il l'organe des chrétiens de gauche avant-guerre ? -> oui
2) Charles de Gaulle a-t-il adhéré avant-guerre aux Amis de Temps Présent ? -> oui
3) Charles de Gaulle était-il avant-guerre chrétien de gauche ? -> je te laisse répondre !

Écrit par : Laurent de Boissieu | 21 juin 2010

@fran6h : merci beaucoup pour le lien ! j'avais lu cet article, il y a longtemps...

Écrit par : Laurent de Boissieu | 22 juin 2010

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