Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

14 décembre 2014

Laissez-moi ma crèche chrétienne de Noël!

Le tribunal administratif de Nantes a interdit, le 24 octobre 2014, d'installer dans le hall public du conseil général de Vendée une crèche de la Nativité.

L'article 28 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État est en effet très clair:

Il est interdit, à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l'exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions.

De fait, Maître Henri de Beauregard - avocat notamment de "La Manif Pour Tous" - a souligné lors d'une discussion publique sur Facebook, que "le moyen d'échapper à l'article 28 réside dans l'exception qu'il prévoit lui-même: l'exposition. Il me parait en effet évident que ceux qui venaient voir la crèche du CG85 n'y venaient pas pour s'y recueillir, mais pour admirer une «œuvre d'art» populaire" (j'ajoute: à l'exemple des crèches provençales qui mêlent profane et religieux).

En l'espèce, l'intention n'est évidemment pas une exposition, et cela n'a pas été plaidé. Bref, il s'agit bien de la part d'un élu d'apposer (d'imposer) dans un lieu public un symbole de sa religion personnelle (et que ce soit ou non une religion dans laquelle la France puise des racines fondamentales ne change strictement rien à la loi).

 

On a bien entendu parfaitement le droit de vouloir réviser ou abroger la loi de 1905. Reste que cette décision de justice n'a rien de christianophobe, qu'elle n'est que l'application logique et rationnelle de la législation française en vigueur. Comme le confirme au passage Dominique Quinio, directrice du quotidien La Croix, dans un éditorial:

Est-il contraire à la loi de séparation des Églises et de l'État d'installer une crèche dans les bâtiments d'un conseil général, d'une mairie, sur une place? Saisie, la justice répond logiquement par l'affirmative, incitant ces lieux publics à respecter la plus stricte neutralité.

 

Si la réponse est évidente pour un conseil général ou une mairie, je serais néanmoins plus nuancé sur la question d'une place publique: sur les territoires où il existe une tradition ou un usage local, comme le note d'ailleurs l'Observatoire de la laïcité, cela devrait selon moi constituer une exception culturelle au principe général d'interdiction. Tel est le sens, avec quelques ambiguïtés de la part du chantre de la "laïcité positive", de la réponse, en 2007, du ministre de l'Intérieur Nicolas Sarkozy au sénateur Jean-Luc Mélenchon à propos d'une "crèche géante" sur le parvis de la mairie de Châtillon-sur-Loire:

Le principe de laïcité n'impose pas aux collectivités territoriales de méconnaître les traditions issues du fait religieux qui, sans constituer l'exercice d'un culte, s'y rattachent néanmoins de façon plus ou moins directe. Tel est le cas de la pratique populaire d'installation de crèches, apparue au XIIIe siècle. Tel est le cas aussi de la fête musulmane de l'Aïd-el-Adha. L'intervention publique dans de tels domaines doit toujours se justifier par des considérations d'intérêt général (ordre public, communautés ou traditions locales, animation urbaine, etc.) et elle s'effectue sous le contrôle du juge administratif, que peut saisir tout citoyen ayant intérêt pour agir. (Question écrite n° 25728 du 21/12/2006, réponse du 15/03/2007)

Or, l'installation d'une crèche de la Nativité au conseil général de Vendée ne relève pas d'une tradition locale puisqu'elle ne remonte qu'à 1988, c'est-à-dire à l'élection de Philippe de Villiers à sa présidence. Le tribunal administratif d'Amiens avait déjà jugé de manière identique, le 16 novembre 2010, au sujet d'une crèche sur la place du village de Montiers (Oise).

Concernant l'organisation d'une manifestation religieuse pour les fêtes de Noël (par exemple un spectacle ou une crèche vivante), Le Courrier des maires et des élus locaux rappelait justement, en janvier dernier, qu'"il n'existe pas de réglementation spécifique aux manifestations religieuses dans l'espace public": en la matière "lorsque qu'il use de ses pouvoirs de police, le maire doit tenir compte des libertés de religion, de réunion et de manifester". Avec en outre cette précision:

Le Code de la sécurité intérieure rappelle que les manifestations sur la voie publique peuvent être organisées librement, à la condition d'avoir été préalablement déclarées auprès du maire ou du préfet en cas de police d'État, entre 3 et 15 jours avant la date prévue, en mentionnant l'objet, le lieu et l'itinéraire de la manifestation.
L'exception des sorties
«conformes aux usages locaux» - Les textes permettent de moduler l'intensité du contrôle en dispensant de déclaration les «sorties sur la voie publique conformes aux usages locaux».
Historiquement, cette exception vise au premier chef les processions religieuses, et la jurisprudence admet comme
«conforme aux usages locaux», l'organisation d'une procession qui avait été interrompue pendant 77 ans (CE, 11 fév. 1927, Abbé Veyras: Rec. CE 1927, p. 176; CE, 3 déc. 1954, Rastouil: Rec. CE 1954, p. 639).

 

Cette décision du tribunal administratif de Nantes a suscité de nombreuses réactions. Des maires d'extrême droite ont instrumentalisé la religion en plaçant aussitôt des crèches de Noël dans leur mairie (comment à la fois exiger à juste titre que les musulmans respectent la laïcité et plaider paradoxalement pour que les chrétiens l'enfreignent?). Des croyants, parfois sincèrement, parfois par volonté de durcir le monde catholique en le manipulant, ont extrapolé et raconté n'importe quoi sur les calvaires, les clochers, les processions, des noms de communes ou de rues, des musées ou du vocabulaire qui se trouveraient tout à coup menacés d'éradication. Cela donne parfois de beaux textes enlevés, ravissant cette frange ultra des catholiques qui se voit et se vit comme une minorité persécutée en France. Juridiquement, toutefois, il ne s'agit que de délires.

 

Demeure une question: la crèche de Noël ne serait-elle pas passée au fil du temps du religieux au culturel?

Les racines chrétiennes de la France font en effet que des emblèmes religieux sont aussi devenus des emblèmes d'une fête traditionnelle française, non religieuse bien qu'issue d'un fait religieux (l'exemple de nombreux jours fériés est emblématique). En France, Noël n'est-il pas fêté en famille par des non croyants et des croyants, chrétiens ou d'autres religions? Un Noël déchristianisé – et de plus en plus consumériste... – cohabite aujourd'hui avec le Noël chrétien (le mien). Lors de discussions plutôt animées sur Facebook, je me suis aperçu que des frères chrétiens avaient du mal à séparer ces deux Noëls. Je comprends que pour eux, intimement, il n'existe qu'une seule et même fête. Il s'agit pourtant de s'extraire de notre condition individuelle de chrétien afin de regarder la réalité de la société française dans son ensemble.

Ce Noël déchristianisé a, il est vrai, repris des attributs du Noël chrétien (parfois récents et historiquement controversés, mais là n'est pas le débat). C'est en particulier le cas du sapin ou de l'Étoile de Bethléem en décoration. Ces éléments peuvent être sécularisés puisqu'ils sont détachables de la célébration chrétienne de la Nativité. Ils étaient y compris utilisés lors des "Noëls humaines" organisés à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle par l'Association nationale des libres-penseurs de France: "un arbre de Noël était dressé et les enfants recevaient des bonbons et des jouets", raconte Jacqueline Lalouette dans son passionnant ouvrage sur les Jours de fête (2010, Tallandier).

Il en est par nature tout autrement d'une crèche de la Nativité, qui est intrinsèquement religieuse, chrétienne, puisqu'elle illustre la naissance de Jésus Christ, représentant, dans un premier temps, les juifs Marie et Joseph, puis également, à partir du 24 décembre à minuit, l'Enfant Jésus.

 

Certains ont peut-être la volonté de déchristianiser le Christ, souhaitant sans doute qu'on le retrouve demain dans des publicités, trinquant au Coca-Cola avec le Père Noël entre un sapin et une pin-up.

Pas moi: c'est en chrétien que je vous le demande, laissez à ma crèche de Noël son caractère religieux, et retirez-la de vos mairies.

 

 

 

 

Commentaires

D'accord en tous points. Et point de vue que j'ai défendu, avec d'autres mots, et un autre ton, dans ma réaction à la crèche de Ménard installée dans le hall de la mairie de Béziers. Ici: http://contre-regard.com/le-sens-profond-des-creches-de-menard-a-beziers-et-de-villiers-en-vendee/

Écrit par : Santo | 14 décembre 2014

Je suis impressionné par le débat que peut causer en France deux crèches ^^. En Belgique, le poids de l'église catholique reste très fort bien que moins visible qu'avant. Pourtant, il ne nous viendrait jamais à l'esprit de critique une majorité communale qui déciderait de mettre une crèche dans la maison communale ^^.

Au delà de cela, je trouve votre réflexion très juste sur la déchristianisation des symbole chrétien.

Écrit par : Cedric Lemaire | 14 décembre 2014

Enfin, la Belgique c'est la neutralité de l'État non pas de non-reconnaissance des religions mais au contraire de reconnaissance de toutes les religions.

Article 181 §1er de la Constitution belge: "Les traitements et pensions des ministres des cultes sont à la charge de l'État; les sommes nécessaires pour y faire face sont annuellement portées au budget."

Article 2 de la loi française de 1905: "La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte."

Écrit par : Laurent de Boissieu | 14 décembre 2014

Oui, on peut aussi citer l'obligation constitutionnel des communautés de fournir des cours de religion de chacun des cultes reconnus dans les écoles publiques.

Ce que je trouve perturbant, c'est le scandale que cela provoque au delà des aspects légaux.

Écrit par : Cedric Lemaire | 14 décembre 2014

Votre article est remarquable, écrit avec la rigueur intellectuelle qui vous est habituelle et que j'apprécie tant chez vous. Et votre conclusion engagée (vos deux dernières phrases, sur "déchristianiser le Christ" et sur le caractère religieux de "ma crèche de Noël") est magnifique.

Moi aussi, ça me préoccupe que trop de chrétiens (qu'ils soient "sincères" ou "manipulateurs", pour reprendre vos termes) ne comprennent pas à quel point ils ont (et permettez-moi d'ajouter "nous avons", puisque j'en fais partie moi aussi) intérêt à bien comprendre et à bien respecter "notre laïcité publique" (au sens de l'ouvrage du regretté Emile Poulat qui porte ce titre), ne serait-ce que pour être crédible quand nous demandons, à juste titre, la même chose aux non-chrétiens (musulmans ou non, quelque soient leurs convictions religieuses ou non-religieuses).

Écrit par : Jean-Mathieu Robine | 15 décembre 2014

On pourrait dire à propos de la crèche de Noël qu'il s'agit de l'histoire d'une famille palestinienne.

Écrit par : cording | 24 décembre 2014

Les commentaires sont fermés.