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30 mars 2011

Typologie des positions sur la laïcité

Petite note repère des positions sur la laïcité:

 

1. Les anticléricaux:

La laïcité est pour eux une arme contre les religions. Ils refusent toute présence religieuse dans l'espace public et révisent l'histoire de France en niant son apport judéo-chrétien.

Exemple: Alternative Libertaire.

 

2. Les défenseurs de la laïcité:

Ils défendent la séparation des Églises et de l'État ainsi que la neutralité de l'État et sont donc contre le financement public de la construction des lieux de culte (loi de 1905).

Exemple: MRC, PRG et Parti radical "valoisien".

 

3. Les promoteurs hypocrites de la "laïcité positive":

Ils promeuvent un financement public de la construction des lieux de culte, sans modifier la loi de 1905 mais en la contournant.

Exemple: Jean-François Copé (UMP), Jean Glavany (PS) et ses "accommodements raisonnables".

 

4. Les promoteurs assumés de la "laïcité positive":

Ils promeuvent un financement public de la construction des lieux de culte via une remise en cause de la neutralité de l'État (modification de la loi de 1905).

Exemple: Nicolas Sarkozy (UMP) en 2005.

 

5. Les islamophobes:

La laïcité est pour eux une arme contre le seul Islam.

Exemple: Marine Le Pen (FN).

 

6. Les cléricaux:

Ils sont contre la séparation des Églises et de l'État.

Exemples: partis théocratiques (inexistants en France).

19 février 2011

La laïcité revient dans le débat politique

La laïcité revient dans le débat politique

La Croix, 18/02/2011

11 février 2011

Contre la critique du lepénisme au nom de l'antichristianisme

Henri Peña-Ruiz est une de ces vigies républicaines dont j'apprécie la prise de parole lorsque la laïcité est attaquée (notamment en lui accolant un adjectif: "laïcité positive", "laïcité ouverte", "laïcité raisonnée" … comme si la laïcité était "négative", "fermée" ou "irraisonnée").

Je suis pourtant consterné par sa tribune publiée le 21 janvier dans Le Monde. Que dit-il? Que "la conversion républicaine et laïque du Front national n'est qu'un leurre" parce que Marine Le Pen affirme que les principes de liberté, d'égalité et de fraternité sont issus du christianisme.

La lecture de ce texte me donne l'impression que son auteur avait en stock une tribune anti-catholique, et qu'il en a juste changé le titre et l'accroche afin de la soumettre à publication dans le contexte de l'actualité autour de Marine Le Pen.

 

Ce texte possède en effet deux grilles de lecture, dont l'amalgame est tendancieux – si ce n'est insultant – et contre-productif. 

 

La première grille de lecture pose la question suivante: la conversion républicaine et laïque du FN est-elle sincère?

Or, il me semble un peu court d'affirmer que Marine Le Pen n'est pas authentiquement républicaine parce que et uniquement parce qu'elle confère une source chrétienne aux principes républicains.

Dès lors, qu'est-ce qui permettrait de démontrer que "la conversion républicaine et laïque du Front national n'est qu'un leurre"? Il suffit tout simplement de lire et d'écouter ses dirigeants.

1) République indivisible? La présidente du FN assume et utilise l'expression discriminatoire "Français de souche", aux antipodes du principe républicain d'égalité entre tous les citoyens car opérant une distinction entre eux en fonction de leur origine (rappel: pour les démographes de l'Ined, le Français de souche est celui qui n'a pas au moins un de ses grands-parents immigré).

2) République laïque? La question est de savoir si Marine Le Pen défend sincèrement la laïcité ou si elle l'instrumentalise dans une logique du "choc des civilisations". Or, elle a elle-même répondu à cette question: "Il n'y a pas cinquante moyens de lutter contre l'islamisation de notre pays. Il y a soit la laïcité, soit la croisade. Comme je ne crois pas beaucoup à la croisade, je pense qu'il faut user de la laïcité qui n'est pas le laïcisme" (Présent, décembre 2010).

3) République sociale? Les précédents programmes du FN étant d'inspiration ultralibérale, la question est de savoir si la nouvelle orientation sociale-étatiste de Marine Le Pen est sincère ou non. Le nerf de la guerre de toute politique sociale, c'est la fiscalité: il conviendra donc d'analyser à la loupe la "révolution fiscale" que va présenter avant l'été Marine Le Pen. En attendant, que peut-on d'ores et déjà constater? Nouveau vice-président en charge du projet (et compagnon de Marine Le Pen), Louis Aliot a créé en mai 2010 Idées Nation, "club de réflexions, d'analyses et de propositions au service du projet et de l'action politique de Marine Le Pen". Or, parmi ses rares productions figure une critique de la "convention égalité réelle" du PS, critique sans ambigüité libérale et non sociale ("toujours plus d'État!", "dirigisme", "contre les locataires non pauvres", "toujours plus de dépenses!", "toujours plus d'impôts!", "la chasse aux riches"), ce qui, pour le moins, ne présage pas d'une future orientation sociale du programme de Marine Le Pen.

 

La seconde grille de lecture pose la question suivante: les trois principes de liberté, d'égalité et de fraternité dérivent-ils du transfert aux autorités séculières de valeurs religieuses?

Je trouve ce débat passionnant. Henri Peña-Ruiz y apporte sa pierre en répondant par la négative. Pourquoi pas, même si l'honnêteté intellectuelle commanderait sans doute davantage de rigueur et de nuance. D'une part, en ne confondant pas le christianisme (son apport philosophique) et l'Église catholique (le christianisme institutionnalisé en Occident). D'autre part, en ne plaidant pas uniquement à charge (l'inverse serait d'ailleurs tout aussi malhonnête).

Personnellement, je pense que le christianisme est bien une des sources, certes pas unique, des Droits de l'Homme et des principes émancipateurs consignés dans le triptyque républicain. Cela fait-il de moi un lepéniste? Cela disqualifie-t-il mon républicanisme? Oui, à en croire Peña-Ruiz…

 

Addenda
En 2004 avait été publié dans Le Monde Diplomatique un texte aussi que clair que brillant, dont voici la première phrase: "À propos des lois politiques, le curé Lacordaire a dit l'essentiel: ‘Entre le fort et le faible, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit’". Mais quel auteur a osé commencer un texte intitulé "Laïcité et égalité, leviers de l'émancipation" en citant un homme d'église? Réponse: Henri Peña-Ruiz! …

09 février 2011

Manifeste pour une écologie antirépublicaine

Le 27 janvier dernier a été publié dans Libération un "Manifeste pour une écologie de la diversité", cosigné par Esther Benbassa (directrice d'études à l'EPHE-Sorbonne), Noël Mamère (député) et Eva Joly (parlementaire européen).

La lecture m'avait immédiatement suscité cette réaction sur Twitter: "Eva Joly - Les Identitaires: même anti-républicanisme, même confusion nature/culture".

 

Que dit cette tribune? Qu'il faut "sauver et la laïcité et la République, à condition qu'elles soient revisitées":

  • "Une laïcité raisonnée qui reconnaisse la part de l'appartenance ethnique, culturelle, religieuse, linguistique".
  • "Une République équilibrée en harmonie avec la mixité réelle", la société devant être "le creuset naturel d'une diversité positive, à savoir d'une véritable mixité sociale et culturelle".

 

En fait, à force de revisiter la République, il n'en reste plus rien. Les auteurs cachent d'ailleurs à peine leur dessein antirépublicain lorsqu'ils dénoncent le "piège où la laïcité et les valeurs de la République se confondent avec ces dérives que sont le laïcisme et le républicanisme". Concrètement, il s'agit pour eux de remplacer la définition individualiste et universaliste de la citoyenneté (sans distinction d'origine, de race ou de religion) par une approche holiste et communautariste (selon les appartenances ethnique, culturelle, religieuse, linguistique). "Intégration, assimilation sont des mouvements venus d'en haut, autoritaires, ne prenant pas en considération les réalités humaines, et les dénigrant sous l'étiquette commode de ‘communautarisme’", écrivent ainsi les membres d'Europe écologie – Les Verts (sans oublier, au passage, d'agiter à trois reprises l'épouvantail du nationalisme).

À l'appartenance considérée comme artificielle à la communauté politique nationale est donc substituée une appartenance naturelle (conforme à sa nature essentielle) à des communautés. Parmi les communautés reconnues au sein de cette société multiculturelle figure la communauté religieuse. D'où une rupture avec la loi de 1905, qui dispose que "la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte", c'est-à-dire avec la laïcité (comme du reste à chaque fois qu'on lui accole un adjectif: "laïcité positive", "laïcité ouverte", etc.).

Un tel essentialisme anti-républicain est également présent dans un courant d'extrême droite, la Nouvelle Droite. Théorisé par Alain de Benoist, ce courant affirme le droit à la différence à travers le concept d'"ethno-différentialisme" ou d'"ethno-pluralisme". Ce qui se traduit par "une réflexion critique sur les défauts d'un modèle français d'inspiration jacobine qui ne sait ‘intégrer’ que les individus et leur propose immanquablement de renoncer à leurs racines pour s'assimiler" (Alain de Benoist, "Citoyenneté, nationalité, intégration", Éléments, numéro 77, avril 1993). La Nouvelle Droite a directement inspiré sur ce point le corpus idéologique de la mouvance "identitaire".

En ce qui concerne l'écologie, voici ce qu'écrivait Alain de Benoist: "Quant à la biodiversité, dont il est beaucoup question aujourd'hui (le terme n'est apparu qu'en 1986), il est important de bien faire comprendre qu'elle doit s'exercer à tous les niveaux: écosystèmes, espèces, cultures, gènes (…) L'existence de cultures et de peuples différenciés est elle-même indissociable de l'avenir de l'humanité, tout simplement parce qu'il n'y a pas d'appartenance ‘immédiate' à l'humanité: tout être humain, parce qu'il est un animal social, n'appartient à l'humanité que de façon médiate, au travers de son appartenance première à une culture ou une société donnée. Le maintien de la biodiversité implique donc une pensée de la différence et de l'altérité" (Fare Verde, mars-avril 2002).

Or, la tribune d'Esther Benbassa, Noël Mamère et Eva Joly est jalonnée d'un naturalisme anti-humaniste (application des lois de la nature aux sociétés humaines) qui rappelle de façon troublante la Nouvelle Droite:

  • "Lorsque le nombre d’espèces diminue dans la nature, les maladies infectieuses, elles, se multiplient. Et pour les endiguer, des efforts doivent être déployés afin de préserver les écosystèmes naturels et leur variété. Qu'on nous pardonne le rapprochement, mais une société monoethnique (il n'en existe heureusement pas beaucoup) est une société condamnée".
  • "Si les monocultures appauvrissent les sols, elles assèchent aussi les nations".
  • "Le refus de l'altérité et l'aspiration à l'‘authenticité nationale’ asphyxient la nation elle-même, comme certains produits toxiques notre atmosphère et nos sols".

Eva Joly, Alain de Benoist: même combat?

19 décembre 2010

Convergence nouvelle entre extrême droite, laïques et féministes

Le public était aussi nombreux qu'hétéroclite, samedi, aux "assises internationales sur l'islamisation de nos pays" organisées à Paris par le Bloc Identitaire et Riposte Laïque, en présence notamment du député allemand René Stadtkewitz (récemment exclu de la CDU) et surtout du député suisse Oskar Freysinger (UDC), l'homme de la votation anti-minaret de 2009, dont c'était la première prise de parole publique en France.

"Depuis une semaine nous avons fait des tentatives avec des élus UMP et PS: aucun n'a accepté sous la pression de leurs états-majors de venir à ces Assises", regrette toutefois Pierre Cassen, fondateur de Riposte Laïque. L'"invité surprise" pressenti, Xavier Lemoine (UMP), maire de Montfermeil (Seine-Saint-Denis), a donc été remplacé par l'islamologue Anne-Marie Delcambre.

Les deux mouvements à l'origine de cette initiative, qui avaient déjà organisé ensemble un "apéro géant saucisson et pinard" le 18 juin dernier, illustrent une nouvelle convergence islamophobe - puisque considérant que l'islam en tant que tel est par nature islamiste - entre, d'un côté, activistes d'extrême droite, et, de l'autre, militants laïques et féministes.

Présidé par l'ancien skinhead Fabrice Robert, le Bloc Identitaire a été créé par une partie des anciens dirigeants d'Unité Radicale, dissout après la tentative d'assassinat de Jacques Chirac par Maxime Brunerie, le 14 juillet 2002. Auparavant, en avril 2002, le groupuscule avait adopté, sous l'impulsion notamment de Fabrice Robert, une nouvelle orientation consistant à "tourner la page de l'islamophilie judéophobe". Cette nouvelle orientation avait entraîné une rupture avec le dirigeant historique Christian Bouchet, fidèle à la ligne pro-arabe du courant nationaliste-révolutionnaire et aujourd'hui soutien de Marine Le Pen au sein du FN.

Riposte Laïque est issue en septembre 2007 d'une scission de ReSPUBLICA, "journal de la gauche républicaine, laïque, écologique et sociale". Ce journal en ligne était lié au parti Initiative Républicaine, aujourd'hui disparu, et à l'Union des Familles Laïques (UFAL). Ce qui explique pourquoi l'UFAL a dénoncé, le jour même de la tenue de ces Assises, "l'acte de naissance de la nouvelle extrême droite européenne".

Pierre Cassen a rompu avec ReSPUBLICA, dont il était rédacteur en chef, pour deux raisons. D'une part, afin de "militer pour le rassemblement des laïques et des républicains des deux rives, de gauche comme de droite". D'autre part, pour mettre un terme à, selon lui, "la sous-estimation de l'offensive islamiste". Riposte Laïque estime en outre que cette "offensive islamiste" est "relayée et encouragée par les autres religions qui y voient une occasion unique de retrouver place dans la Cité".

Au-delà de l'islamophobie, tout oppose pourtant le Bloc Identitaire, partisan d'une France fédérale sur la base d'un régionalisme ethno-culturel, et Riposte Laïque, défenseur de la République une et indivisible. Présidente de la Ligue du droit des femmes, cofondée avec Simone de Beauvoir en 1974, Anne Zelensky a d'ailleurs été huée par les participants d'extrême droite lorsqu'elle a rappelé son combat en faveur de la légalisation de l'IVG. "Mon objectif n'est pas de savoir avec qui je m'allie mais pour quoi je m'allie", a ensuite mis en avant l'intéressée pour justifier cette alliance avec le Bloc Identitaire, en précisant que "s'allier n'est pas s'aligner".

Reste que la collaboration entre les deux tendances n'a semble-t-il pas été toujours facile. Un micro laissé allumé a ainsi permis d'entendre sur Internet (1) Christine Tasin, présidente de l'association Résistance Républicaine, dire à Anne Zelensky que "ces salopards" d'Identitaires avaient refusé son texte qui "n'allait pas assez dans leur sens" car "c'était trop universaliste".

De fait, dans un discours sans nuance, Fabrice Robert a clamé que "l'Islam est par essence totalitaire" et que "pour repousser l'islamisation, il faudra d'abord neutraliser politiquement ses collabos", c'est-à-dire "ceux qui nous dirigent aujourd'hui à Paris et à Bruxelles". Avant de conclure: "Comme à Poitiers (2) et à Vienne (3), nous gagnerons".

 

(1) N'ayant pas pu m'y rendre, j'ai suivi ces Assises sur Internet
(2) 732, contre les Arabes
(3) 1683, contre les Ottomans

12 novembre 2009

La laïcité, un droit de l'Homme

Je n'ai jamais compris pourquoi certains croyants avaient un problème avec la laïcité. Sauf à vouloir, plus ou moins inconsciemment, conférer à une religion donnée un statut de religion officielle. Dernier exemple en date, l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme rendu le 3 novembre 2009 :

La Cour estime que l'exposition obligatoire d'un symbole d'une confession donnée dans l'exercice de la fonction publique relativement à des situations spécifiques relevant du contrôle gouvernemental, en particulier dans les salles de classe, restreint le droit des parents d'éduquer leurs enfants selon leurs convictions ainsi que le droit des enfants scolarisés de croire ou de ne pas croire. La Cour considère que cette mesure emporte violation de ces droits car les restrictions sont incompatibles avec le devoir incombant à l'État de respecter la neutralité dans l'exercice de la fonction publique, en particulier dans le domaine de l'éducation.

(Il s'agissait en l'espèce de la présence de crucifix dans les salles de classe des écoles publiques en Italie)

 

Au passage, puisque le gouvernement a ouvert le 2 novembre un grand débat sur l'identité nationale, cette décision va précisément dans le sens de l'identité républicaine de la France - République indivisible, laïque, démocratique et sociale. L'Italie n'est certes pas la France, mais l'Italie a signé la Convention européenne des droits de l'Homme ainsi que le protocoles additionnel sur lesquels la CEDH fonde cette décision.

 

Donc, pas de quoi choquer le citoyen français de confession chrétienne que je suis. Sur le revigorant site causeur.fr, le catholique Florentin Piffard affirme pourtant que la CEDH jette "le crucifix aux orties". Rien de moins ! Le plus génant avec cet article c'est que - n'osant sans doute pas s'attaquer de front à la laïcité - il déforme, pour mieux le ridiculiser, l'arrêt de la CEDH.

 

Voici un extrait de ce qu'écrit Florentin Piffard :

La Cour rappelle aussi complaisamment que la loi qui prévoit l’exposition d’un crucifix dans les salles de classe italiennes date du concordat de 1929, c’est-à-dire de la période fasciste. Belle reductio ad benitum. Ce que Benito a voulu ne peut être bon. Dans ces conditions, on aura toujours raison de s’opposer au crucifix. La Résistance, même à une loi qui a presque l’âge de ma grand-mère, est à jamais d’actualité, surtout en ces périodes sarko-berlusconiennes.

Le problème c’est que cette origine mussolinienne du crucifix dans les salles de classe est elle-même contestée. Le Conseil d’État italien notait en 2006, dans le cadre de cette affaire, que "la prescription des crucifix dans les salles de classes" datait non pas du concordat de 1929 mais de la loi Casati, "adoptée par un État [le Royaume de Sardaigne] qui nourrissait bien peu de sympathie pour l’Eglise catholique", loi qui fut ensuite étendue à toute l’Italie après l’unification. Mais ne pinaillons pas : la cause des enfants, qui est celle de tous les Résistants, mérite bien quelques libertés avec l’exactitude historique.

 

Bref, selon Florentin Piffard, la CEDH fonderait sa décision sur l'"origine mussolinienne" de la présence de crucifix dans les salles de classe des écoles publiques en Italie. Ce qui serait, effectivement, complètement ridicule ! Mais ce qui ne correspond pas à la réalité, la cause anti-laïque de Florentin Piffard méritant bien, apparemment, quelques libertés avec la réalité du jugement de la CEDH...

 

Si dans son arrêt la CEDH revient bien sur l'origine historique de la présence de crucifix dans les salles de classe des écoles publiques italiennes, elle le fait justement en remontant en amont de la période fasciste :

16.  L'obligation d'exposer le crucifix dans les salles de classe remonte à une époque antérieure à l'unité de l'Italie. En effet, aux termes de l'article 140 du décret royal n°4336 du 15 septembre 1860 du Royaume de Piémont-Sardaigne, "chaque école devra[it] sans faute être pourvue (...) d'un crucifix".
17.  En 1861, année de naissance de l'État italien, le Statut du Royaume de Piémont-Sardaigne de 1848 devint le Statut italien. Il énonçait que "la religion catholique apostolique et romaine [était] la seule religion de l'État. Les autres cultes existants [étaient] tolérés en conformité avec la loi".
18.  La prise de Rome par l'armée italienne, le 20 septembre 1870, à la suite de laquelle Rome fut annexée et proclamée capitale du nouveau Royaume d'Italie, provoqua une crise des relations entre l'État et l'Église catholique. Par la loi n°214 du 13 mai 1871, l'État italien réglementa unilatéralement les relations avec l'Église et accorda au Pape un certain nombre de privilèges pour le déroulement régulier de l'activité religieuse.
19.  Lors de l'avènement du fascisme, l'État adopta une série de circulaires visant à faire respecter l'obligation d'exposer le crucifix dans les salles de classe.
La circulaire du ministère de l'Instruction publique n°68 du 22 novembre 1922 disait ceci : "Ces dernières années, dans beaucoup d'écoles primaires du Royaume l'image du Christ et le portrait du Roi ont été enlevés. Cela constitue une violation manifeste et non tolérable d'une disposition réglementaire et surtout une atteinte à la religion dominante de l'État ainsi qu'à l'unité de la Nation. Nous intimons alors à toutes les administrations municipales du Royaume l'ordre de rétablir dans les écoles qui en sont dépourvues les deux symboles sacrés de la foi et du sentiment national."
La circulaire du ministère de l'Instruction publique n°2134-1867 du 26 mai 1926 affirmait : "Le symbole de notre religion, sacré pour la foi ainsi que pour le sentiment national, exhorte et inspire la jeunesse studieuse, qui dans les universités et autres établissements d'enseignement supérieur aiguise son esprit et son intelligence en vue des hautes charges auxquelles elle est destinée."
20.  L'article 118 du décret royal n°965 du 30 avril 1924 (Règlement intérieur des établissements scolaires secondaires du Royaume) est ainsi libellé : "Chaque établissement scolaire doit avoir le drapeau national, chaque salle de classe l'image du crucifix et le portrait du roi".
L'article 119 du décret royal n°1297 du 26 avril 1928 (approbation du règlement général des services d'enseignement primaire) compte le crucifix parmi les "équipements et matériels nécessaires aux salles de classe des écoles".
Les juridictions nationales ont considéré que ces deux dispositions étaient toujours en vigueur et applicables au cas d'espèce.
21.  Les Pactes du Latran, signés le 11 février 1929, marquèrent la "Conciliation" de l'État italien et de l'Église catholique. Le catholicisme fut confirmé comme la religion officielle de l'État italien. L'article 1 du Traité était ainsi libellé : "L'Italie reconnaît et réaffirme le principe consacré par l'article 1 du Statut Albertin du Royaume du 4 mars 1848, selon lequel la religion catholique, apostolique et romaine est la seule religion de l'État."
22.  En 1948, l'État italien adopta sa Constitution républicaine.
L'article 7 de celle-ci reconnaît explicitement que l'État et l'Église catholique sont, chacun dans son ordre, indépendants et souverains. Les rapports entre l'État et l'Église catholique sont réglementés par les Pactes du Latran et les modifications de ceux-ci acceptées par les deux parties n'exigent pas de procédure de révision constitutionnelle.
L'article 8 énonce que les confessions religieuses autres que la catholique "ont le droit de s'organiser selon leurs propres statuts, en tant qu'elles ne s'opposent pas à l'ordre juridique italien". Les rapports entre l'État et ces autres confessions "sont fixés par la loi sur la base d'ententes avec leurs représentants respectifs".
23.  La religion catholique a changé de statut à la suite de la ratification, par la loi n°121 du 25 mars 1985, de la première disposition du protocole additionnel au nouveau Concordat avec le Vatican du 18 février 1984, modifiant les Pactes du Latran de 1929. Selon cette disposition, le principe, proclamé à l'origine par les Pactes du Latran, de la religion catholique comme la seule religion de l'Etat italien est considéré comme n'étant plus en vigueur.

 

Et, surtout, ce n'est pas sur cette origine historique que la CEDH fonde son jugement, mais bel et bien sur le respect de la laïcité :

55.  La présence du crucifix peut aisément être interprétée par des élèves de tous âges comme un signe religieux et ils se sentiront éduqués dans un environnement scolaire marqué par une religion donnée. Ce qui peut être encourageant pour certains élèves religieux, peut être perturbant émotionnellement pour des élèves d'autres religions ou ceux qui ne professent aucune religion. Ce risque est particulièrement présent chez les élèves appartenant à des minorités religieuses. La liberté négative n'est pas limitée à l'absence de services religieux ou d'enseignement religieux. Elle s'étend aux pratiques et aux symboles exprimant, en particulier ou en général, une croyance, une religion ou l'athéisme. Ce droit négatif mérite une protection particulière si c'est l'État qui exprime une croyance et si la personne est placée dans une situation dont elle ne peut se dégager ou seulement en consentant des efforts et un sacrifice disproportionnés.
56.  L'exposition d'un ou plusieurs symboles religieux ne peut se justifier ni par la demande d'autres parents qui souhaitent une éducation religieuse conforme à leurs convictions, ni, comme le gouvernement le soutient, par la nécessité d'un compromis nécessaire avec les partis politiques d'inspiration chrétienne. Le respect des convictions de parents en matière d'éducation doit prendre en compte le respect des convictions des autres parents. L'État est tenu à la neutralité confessionnelle dans le cadre de l'éducation publique où la présence aux cours est requise sans considération de religion et qui doit chercher à inculquer aux élèves une pensée critique.
La Cour ne voit pas comment l'exposition, dans des salles de classe des écoles publiques, d'un symbole qu'il est raisonnable d'associer au catholicisme (la religion majoritaire en Italie) pourrait servir le pluralisme éducatif qui est essentiel à la préservation d'une "société démocratique" telle que la conçoit la Convention. La Cour note à ce propos que la jurisprudence de la Cour constitutionnelle italienne
va dans le même sens.

 

La laïcité, ce n'est pas faire une croix sur le passé - par exemple en niant l'Histoire en général et les racines chrétiennes de l'Europe en particulier (ce qui ne préjuge pas de l'opportunité d'inscrire lesdites racines dans une texte normatif). La laïcité, ce n'est pas, contrairement au fantasme de certains croyants, bouter la religion hors de la société. La laïcité, c'est simplement la neutralité de l'État, de ses agents et de l'école publique.

22 juin 2009

Nicolas Sarkozy devant les parlementaires

Une petite note (à partir de ce que j'ai écrit ce matin dans La Croix), de la salle de presse du congrès du Parlement, à Versailles, en attendant le discours du PR.

 

"Si je suis élu, je rendrai compte chaque année devant le Parlement de l'état d'avancement de mon projet", avait promis le candidat Nicolas Sarkozy durant la campagne présidentielle. Un engagement rendu possible par la révision constitutionelle du 21 juillet 2008 et que l'heureux élu tiendra pour la première fois aujourd'hui. L'exercice est délicat, tant sur sa nature, inédite, que dans le contexte de la crise économique.

Depuis qu'il est à l'Élysée, Nicolas Sarkozy n'a jamais véritablement tranché le sens qu'il entendait donner à la magistrature suprême. "Le président de la République devra demain gouverner", expliquait-il auparavant en estimant qu'il conviendrait un jour de "tirer toutes les conséquences du quinquennat". Un tropisme présidentialiste qui pourrait rapprocher son discours de la déclaration de politique générale d'un premier ministre. Mais cette allocution pourrait également lui fournir l'occasion, à l'inverse, d'endosser le costume de l'"homme de la nation", conformément à la vision gaulliste d'un président de la République non pas chef de la majorité parlementaire mais arbitre au-dessus des partis.

Les grands chantiers (vie après 60 ans, croissance verte, collectivités locales, etc.) que devrait ouvrir Nicolas Sarkozy pour la suite de son quinquennat pourraient trouver d'ici mercredi leur prolongement dans un remaniement ministériel, avec le renforcement du pôle écologiste du gouvernement, la nomination d'un ministre chargé de la réforme territoriale ou encore l'apparition de la ruralité dans l'intitulé des portefeuilles. Autre pôle gouvernemental éventuellement renforcé : les relations avec le Parlement.

Tout en traçant ces "nouveaux horizons" pour la France de l'après-crise, le président de la République ne devrait pas non plus oublier la situation économique, qui frappe maintenant de plein fouet les entreprises, et le chômage, qui touche par conséquent de plus en plus de ménages. Reste à savoir quelles perspectives Nicolas Sarkozy donnera, dans un contexte de déficits publics records, au modèle social français, avec lequel il avait souhaité un moment rompre mais qui a semble-t-il atténué les effets de la crise.

Enfin, le chef de l'État est également attendu sur la question du port du voile islamique intégral. D'autant plus que le promoteur de la "laïcité positive" a récemment soutenu les propos de son homologue américain, Barack Obama, critiquant toute législation sur le port du voile, simple ou intégral. Or, en France, tout signe religieux ostensible (à l'exemple du voile islamique, même simple) est interdit aux agents publics ainsi qu’aux élèves des établissements scolaires publics.

11 septembre 2008

Nicolas Sarkozy, Benoît XVI et la laïcité

sarkozybenoit.jpgN'en déplaise au collectif "remballe ton pape!", il n'y a rien de choquant à ce que le président de la République française reçoive le chef de l'État du Vatican. Accueillir un chef d'État étranger n'a jamais signifié cautionner tous les actes ou toute la pensée dudit chef d'État. Cette visite ne constitue donc pas, en soi, une attaque contre la laïcité ! Et il faut vraiment être de mauvaise foi – sans jeu de mot – pour clamer le contraire.

Quant au Pape, chef de l'Église catholique, il est tout à fait normal qu'il veuille aller à la rencontre d'un peuple dont la majorité des croyants se revendiquent de son autorité spirituelle (et même, d'ailleurs, si ce n'était pas le cas !). Je dis bien "spirituelle". Et c'est là que l'argumentation du collectif "remballe ton pape!" tombe à l'eau. Qu'une Église dise ce qu'elle considère comme bon ou juste n'a rien d'attentatoire à la liberté individuelle. C'est, justement, ce que permet ce bien précieux qu'est, en France, la laïcité. Ce n'est en effet que lorsque pouvoir politique et pouvoir spirituel se confondent que commencent les atteintes à la liberté individuelle. Sauf en cas d'un improbable dérapage théocratique, les propos de Benoît XVI, chef d'État étranger, ne pourront donc en rien constituer une attaque contre la laïcité. Non-croyants ou croyants d'une autre religion, nous sommes libres de les écouter ou non, de les critiquer ou de les approuver.

Personnellement, c'est plutôt Nicolas Sarkozy, président de notre République, qui m'inquiète. Cette semaine, un de ses proches m'assurait que le chef de l'État n'irait "pas plus loin" que dans ses discours de Latran (20/12/2007) et Riyad (14/01/2008). "Si tu vas plus loin, tu me retrouveras dans la rue avec les manifestants", lui a même répondu cet interlocuteur commun. Se voulant rassurant, ces propos m'ont, au contraire, plutôt inquiété en ce qui concerne l'état d'esprit profond de Nicolas Sarkozy...

D'autant plus que sa "laïcité positive" constitue, déjà, une attaque directe contre la laïcité (la laïcité point : ajouter un qualificatif est d'emblée suspect; comme si la laïcité française, historique, républicaine était une laïcité "négative" ou "fermée"). Plutôt que de faire un copié-collé, je vous renvoie à ma note du 17 janvier dernier sur la "laïcité positive".

"François Mitterrand n'avait laissé aucune consigne à ses proches, leur disant simplement qu'une messe est possible, poursuit mon interlocuteur. Nicolas Sarkozy est également en recherche. Mais ce n'est pas dans son tempérament volontariste de laisser les autres décider à sa place". Je respecte profondément la quête spirituelle de l'être humain. Je la comprends, même. Mais ledit être humain est aussi président d'une République laïque. Et, hors conversations privées, c'est à ce seul titre qu'il doit s'exprimer et se comporter face à un chef religieux. Car la France ne doit pas devenir le laboratoire d'expérimentation d'une quête spirituelle personnelle.

 

 

P.S.: le plus drôle, c'est que certains signataires du collectif "remballe ton pape!" s'étaient opposés à la loi encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics !

21 février 2008

Sarkozy, le ministre et les francs-maçons

1572698618.jpg"L'Express est en mesure de le révéler : Xavier Bertrand, l'un des ministres les plus en vue du gouvernement, appartient au Grand Orient de France". S'ensuit un article commençant par moults détails sur l'initiation de Xavier Bertrand.

Non, vous ne vous trompez pas. C'est bien dans L'Express de Jean-Jacques Servan-Schreiber, et non pas dans une revue d'extrême droite menant, dans la grande tradition d'Henry Coston, une chasse aux francs-maçons, que vous lisez ces lignes.

Xavier Bertrand, franc-maçon ? So what ?

Quoi qu'il en soit, cette "révélation" permet à la majorité d'allumer un contre-feux. Une façon de dire à ceux qui, francs-maçons ou non d'ailleurs, s'inquiètent  des attaques de Nicolas Sarkozy contre la laïcité : "ne vous inquiétez pas pour la loi de 1905, au gouvernement F:. Xavier Bertrand veille". De là à penser qu'il s'agit d'une révélation autorisée, sur le modèle des biographies autorisées...

 

Curieux téléscopage de l'actualité : d'un côté un hebdomadaire qui fait sa Une sur l'appartenance d'un ministre à la franc-maçonnerie; de l'autre la directrice de cabinet du président de la République qui dérape en semblant banaliser le phénomène sectaire. Manquerait plus que Nicolas Sarkozy se croit obligé de remplacer ses ministres ou ses collaborateurs francs-maçons par des ministres et des collaborateurs scientologues !

17 janvier 2008

Laïcité "positive"

4dcfa13485cf1aff0a1a039b774d52da.jpg"Laïcité positive", un concept qui pose question. En défendant l'idée d'une "laïcité positive", Nicolas Sarkozy sous-entend en effet que la laïcité française, historique, républicaine, serait une laïcité "négative".

 

 

Qu'est-ce que la laïcité ? (source : France Républicaine)

  • La séparation des églises et de l'État (Loi de 1905)
  • La neutralité de l'État, et donc des agents publics (interdiction de tout port de signes religieux visibles)
  • La République assure la liberté de conscience (article 1 de la Loi de 1905), liberté de croire (c'est mon cas) ou de ne pas croire et liberté de pratiquer une religion dans le respect des lois de la République
  • La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte (article 2 de la Loi de 1905).

 

Qu'en est-il des discours du président de la République ?

  • amalgame entre laïcité et anti-religieux, d'où l'appel à une laïcité "positive" (sous-entendu : qui ne soit pas, elle, antireligieuse); or, contrairement à ce que dit Nicolas Sarkozy, la laïcité ce n'est pas l'anti-religieux dans la société mais c'est l'a-religieux dans la sphère publique.
  • primauté de la morale religieuse sur la morale laïque (discours de Latran, 20/12/2007 : "S'il existe incontestablement une morale humaine indépendante de la morale religieuse, la République a intérêt à ce qu'il existe aussi une réflexion morale inspirée de convictions religieuses. D'abord parce que la morale laïque risque toujours de s'épuiser ou de se changer en fanatisme quand elle n’est pas adossée à une espérance qui comble l'aspiration à l'infini. Ensuite parce qu'une morale dépourvue de liens avec la transcendance est davantage exposée aux contingences historiques et finalement à la facilité (...) Dans la transmission des valeurs et dans l'apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l'instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur, même s'il est important qu'il s'en approche, parce qu'il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d'un engagement porté par l'espérance")
  • négation de l'athéisme (discours de Riyad, 14/01/2008 : "Dieu transcendant qui est dans la pensée et dans le cœur de chaque homme.").

L'attention a été focalisée sur des expressions qui ne sont que le reflet d'une réalité historique (donc, bien entendu, du passé et non du présent) : la France "fille aînée de l'Église", les "racines chrétiennes" de la France (même si, contrairement au président de la République, on ne peut pas considérer qu'elles le soient "essentiellement"). Mais les trois points ci-dessus exposés me semblent bien plus importants (inquiétants ?) !

 

P.S.: autre élément surprenant dans le discours de Riyad : Nicolas Sarkozy s'est non seulement adressé "à toute la nation saoudienne", mais "aussi à toute la nation arabe et à toute la communauté des croyants". En quoi la France doit-elle subreptiscement reconnaître l'exitence d'une "nation arabe" par-dessus les États ou saluer une communauté de croyants lorsqu'il s'adresse non pas à un dignitaire religieux mais à une assemblée politique ?